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Un Président libéral, européen et pro-business

Un Président libéral, européen et pro-business

Après quelques tâtonnements dans la foulée de son élection, Emmanuel Macron mène désormais avec constance et méthode une politique qui répond aux critères de ce qu’on appelle communément la droite libérale, européenne et pro-business. Cette politique est celle qu’aurait sans doute conduite Alain Juppé s’il avait été élu et qu’Edouard Philippe n’a donc aucune peine à conduire aujourd’hui tel le collaborateur discret de son nouveau mentor. Dans un tout autre contexte, elle a déjà été expérimentée entre 1986 et 1988 puis entre 1993 et 1995 par des gouvernements dont Edouard Balladur était, dans les faits, le principal inspirateur. Ce qui fait désormais son originalité tient à la personnalité de celui qui la dicte et aux circonstances qui ont permis son installation au sommet de l’État.

Emmanuel Macron brouille les cartes de la taxinomie partisane mais quand il retourne les siennes, c’est invariablement de la main droite. Nul besoin pour comprendre cette politique d’invoquer la fameuse «complexité» de la pensée présidentielle. La loi Travail est pour l’essentiel un hymne à la flexibilité. Le premier budget du quinquennat, dans son volet fiscal, fait la part belle aux entreprises et surtout aux très hauts revenus au nom de l’encouragement de l’initiative individuelle et de la réussite personnelle. Plus que la rente – ce qui aurait supposé qu’on ose relever les droits de succession – ce sont des protections prétendument indues ou inefficaces qui sont combattues sans relâche en vertu du principe qui veut que la jouissance de quelques-uns soit la condition du bonheur de tous. Cette politique économique et sociale faite de rigueurs sélectives est présentée par ailleurs comme un impératif pour quiconque entend faire progresser l’Union européenne sur le chemin d’une intégration accrue, elle-même facteur d’une prospérité supplémentaire.

En matière d’éducation, l’heure est à la contre-réforme au nom du retour aux traditions abimée par «un pédagogisme» d’essence post-soixante-huitarde. En matière d’ordre public, l’accent est mis sur l’exigence de sécurité quitte à brider un peu plus les libertés individuelles. En matière d’immigration, tout est fait, au-delà des mots et des discours compassionnels, pour tarir les flux venus du Sud au motif qu’ils seraient de nature essentiellement économique. Enfin, en dépit de quelques promesses de campagne, rien n’est aujourd’hui prévu sur le terrain de ce qu’on appelle parfois les réformes de société. À peine ouverte par la secrétaire d’État chargée du dossier, la piste de la PMA a été sinon refermée du moins renvoyée à des temps ultérieurs au nom du respect des consciences ou de l’unité du corps social qu’aurait inutilement fissuré l’épisode de «mariage pour tous». À son essence libérale, ce pouvoir n’entend visiblement ajouter aucune touche libertaire. Quand il transige avec ses principes affichés, c’est en se faisant conservateur ou bien autoritaire.

Certaines de ces mesures peuvent être approuvées par une fraction de ce qui reste de l’électorat de gauche et cela d’autant plus qu’elles prolongent, en les durcissant, des politiques parfois initiées sous des législatures antérieures à majorité socialiste. Reste que sous la houlette d’Emmanuel Macron, ce qui n’était que concession ou adaptation au nom du moindre mal, est devenu système soudain affiché et revendiqué comme tel. La vraie rupture est là. Elle vise d’ailleurs tous les prédécesseurs du nouveau Président dont on ne voit pas, soit dit en passant, quelle aurait été la paresse. À la différence de Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron triangule en fait assez peu. À la différence de François Hollande, en tous cas, il ne prétend pas rechercher l’équilibre à tout prix. C’est comme s’il avait fait le calcul que ces méthodes de gouvernement étaient vouées à l’échec. Ceux qui les ont expérimentées ont toujours fini par tomber là où ils penchaient le plus avec, en prime, la sanction d’une forme d’impuissance. Or la seule religion à laquelle communie ce Président protestant, comme dit Régis Debray, est celle de «l’efficacité», laquelle, en pratique, se moque comme d’une guigne des circonvolutions du «en même temps».

Certaines de ces mesures peuvent être approuvées par une fraction de ce qui reste de l’électorat de gauche et cela d’autant plus qu’elles prolongent, en les durcissant, des politiques parfois initiées sous des législatures antérieures à majorité socialiste. Reste que sous la houlette d’Emmanuel Macron, ce qui n’était que concession ou adaptation au nom du moindre mal, est devenu système soudain affiché et revendiqué comme tel. La vraie rupture est là. Elle vise d’ailleurs tous les prédécesseurs du nouveau Président dont on ne voit pas, soit dit en passant, quelle aurait été la paresse. A la différence de Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron triangule en fait assez peu. À la différence de François Hollande, en tous cas, il ne prétend pas rechercher l’équilibre à tout prix. C’est comme s’il avait fait le calcul que ces méthodes de gouvernement étaient vouées à l’échec. Ceux qui les ont expérimentées ont toujours fini par tomber là où ils penchaient le plus avec, en prime, la sanction d’une forme d’impuissance. Or la seule religion à laquelle communie ce Président protestant, comme dit Régis Debray, est celle de «l’efficacité», laquelle, en pratique, se moque comme d’une guigne des circonvolutions du «en même temps».

Emmanuel Macron, en ce sens, est explicite et sans mystère. À ceci près que dans l’exercice du pouvoir, la ligne qu’il a choisie se situe à l’exact opposé de celle qu’il défendait lorsqu’il était candidat. Durant sa campagne victorieuse, Emmanuel Macron a vanté le «ni gauche, ni droite», puis le «et gauche et droite» et enfin «le meilleur» dans les différentes traditions de la vie politique française. Cette forme de synthèse était peut-être un leurre. N’empêche que c’est celle à laquelle a fini par adhérer, faute de mieux, une majorité d’électeurs. Ponctuellement, nul ne peut dire que le Président ne tienne pas ses principales promesses, même s’il lui arrive de les hiérarchiser à sa guise. Mais globalement, il en va de «la bienveillance» dont il se targuait à longueur de discours comme du «changement» dont François Hollande se voulait le héraut. Au bout du compte, subsiste l’impression d’une supercherie qui, cette fois-ci, ne débouche pas sur un procès en immobilisme mais sur l’accusation d’une manière de dureté.

Était-ce écrit d’avance ? Emmanuel Macron, dans un livre, a d’abord vanté «la révolution». C’est donc, en bonne logique, qu’il se voulait révolutionnaire. Puis, il s’est dit partisan du «progrès». C’est donc qu’il se prétendait progressiste. Plus tard, il a prôné «la réforme». C’est donc qu’il était réformiste. Le 2 mars 2017, lors de la présentation de son programme, il a fini par décréter que la France était un pays «irréformable». Ce jour-là, il a sorti de sa poche le concept de «transformation». C’était s’afficher ouvertement transformiste.

On en est là aujourd’hui et c’est sans fard, depuis que se sont éteints les lampions de la fête, qu’Emmanuel Macron décline une politique dont la caractéristique principale – qualité ou défaut ? – est de ne pas tourner autour du pot. On n’exerce pas le pouvoir comme on l’a conquis. C’est ce qu’a définitivement compris le Président au cours de l’été assassin qui a vu sa courbe de popularité chuter comme aucune autre auparavant. À la verticalité de son positionnement symbolique, il a ainsi joint celle de son action effective. Avec lui, il convenait non plus d’être rare ou lointain mais de faire en sorte que la ligne suivie ait la rectitude nécessaire pour que nul ne puisse douter de ses intentions réelles.

On l’a peu souligné mais depuis la rentrée, Jupiter est sur tous les fronts, microphone à la main et bannière déployée. Emmanuel Macron, ce faisant, a choisi la voie «héroïque», comme il dit, de ces Arcole quotidiens qu’on ne traverse pas de biais, à couvert et le drapeau plié au fond des poches. Pour le dire autrement, le Président a estimé que ce serait se perdre définitivement que de ne pas assumer d’emblée la totalité d’un projet libéral épuré de ses scories, libéré de ses anciennes prudences et autres habiletés verbales, bref posé sur la table comme un tout non-négociable quitte à prendre le risque de la confrontation ou même de l’affrontement s’il le faut.

Ce dévoilement – au sens vrai de terme – a quelque chose d’une remise en ordre. Sur l’axe gauche-droite, hier contesté ou revu par certains sur le mode peuple/élites, Emmanuel Macron ne fait plus guère d’efforts pour donner le change ou brouiller les pistes. Son déplacement à Amiens, chez Wirlpool apparait, en ce sens comme une simple étape, un brin convenu, quelques jours après l’annonce de la suppression de l’ISF, sur le chemin que ses nouveaux thuriféraires tracent chaque semaine dans les colonnes du «Fig Mag», entre le Touquet-Paris-Plage et le lycée Saint-Louis de Gonzague à Paris. Caricature sans doute que, sur un mode inversé, relayent les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon mais qui renvoie toutefois à la réalité d’une politique dont le visage, en se précisant, s’est immanquablement figée.

À ce jeu, Emmanuel Macron aura au moins gagné d’inverser timidement la courbe des sondages. Ce qui était frappant, l’été dernier, à l’heure du dévissage, était que les sympathisants de la droite quittaient le navire présidentiel exactement au même rythme et dans les mêmes proportions que leurs homologues de gauche. À présent qu’ils ont compris et vérifié quel était le cap choisi, ils sont revenus massivement au bercail macronien avec le sentiment légitime que celui-ci était au fond le leur et qu’il était finalement assez farce qu’un Président qui avait entamé sa conquête du pouvoir par le flanc gauche l’exerce finalement en célébrant les valeurs d’une droite suffisamment décomplexée pour ne pas tomber dans le piège de la radicalité.

Dans la structure de la majorité, il n’est même pas certain que cette clarification idéologique ait une quelconque conséquence négative. Au sein du gouvernement, il y a longtemps que les voix issues de gauche ont choisi de se taire. Dans le groupe des députés à l’Assemblée, on sent monter parfois une gêne qui n’annonce toutefois aucune fronde. S’il y en avait une, dans les temps à venir, elle serait d’ailleurs rapidement compensée par ces élus plus ou moins constructifs dont on peut vérifier chaque jour combien ils adhérent à la réalité du macronisme gouvernemental.

En fait la seule question qui vaille est de savoir si, dans son affichage libéral, européen et pro-business, celui-ci a fait un choix qui vaut désormais pour la totalité du quinquennat ou s’il n’est qu’un moment, dicté par le contexte et les circonstances d’un combat politique où l’enjeu principal n’est plus de savoir ce que devient la gauche de gouvernement mais fixer les nouvelles frontières au sein de l’ancien bloc conservateur. Le pragmatisme dont se targue Emmanuel Macron, la flexibilité qu’il a manifestée depuis qu’il est entré en politique, bref son opportunisme foncier retient d’affirmer qu’avec lui une politique puisse être gravée dans le marbre. En même temps (ce sera ici le dernier), il est quand même assez rare que des choix stratégiques aussi lourds que ceux qui viennent d’être actés ne construisent pas à leur tour un système faits de solidarités croisées, d’engagements partagés et de contraintes assumées en commun qui, par touches successives, empêche toute inflexion sensible de l’œuvre accomplie en début de mandat.

N’est-ce pas d’ailleurs, au bout du compte, ce qu’il y a de plus intéressant au cœur de cette politique audacieuse dans sa mise en pratique, haute en couleur dans sa célébration, furieusement trafiquée, dans ses modes de communication, mais finalement assez banale dans ce qu’elle contient de normalisation au regard des règles du néo-libéralisme ambiant ?

La première version de cet article a été publiée le 2 octobre 2017 sur Challenges.fr