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S’est-on jamais réconcilié avec une hérésie ?

S’est-on jamais réconcilié avec une hérésie ?

Maintenant que la baston de la primaire socialiste est enfin terminée avec le résultat que l’on sait, on peut le dire sans craindre de prendre une balle perdue : le débat sur «les gauches irréconciliables» est parfaitement inepte pour la simple raison qu’au cours de leur histoire, lesdites gauches n’ont jamais imaginé sérieusement pouvoir se réconcilier. Elles se sont parfois rassemblées pour de courtes périodes. Elles se sont plus souvent tolérées dans une paix armée entrecoupée d’escarmouches et de fausses ambassades. Comment aurait-il pu en être autrement ? Chaque courant de la gauche est une église qui se croit détentrice de la vraie foi et qui traite donc ses rivales comme autant d’hérésies. S’est-on jamais réconcilié avec une hérésie ?

Pour comprendre – si tant est qu’elle ait un sens… – la période qui s’est ouverte depuis que Hollande est à terre, Macron au septième ciel, Hamon dans les habits trop larges, Mélenchon sur les barricades et Jadot dans les choux, il ne faut pas négliger ces questions qui peuvent sembler théologiques et qui renvoient toutes au tempérament particulier d’un des principaux courants de pensée du patrimoine national. Simone de Beauvoir, adaptant Bossuet, a eu un jour ce mot qui n’était pas si sot : «la vérité est une seule et l’erreur multiple. Ce n’est pas un hasard si la droite est pluraliste». Ce faisant, elle signalait, et à juste titre, cette passion qui anime la gauche non pas pour l’union mais pour la fusion, non pas pour le compromis mais pour la réduction définitive de toute différence en son sein.

Il n’est pas besoin de réveiller les mânes de René Rémond pour savoir que la droite, depuis qu’elle est entrée dans la modernité, est une famille éclatée en trois branches rivales. Mais parce qu’elle se prétend pragmatique et qu’elle carbure au «bon sens», elle ignore – ou plutôt, elle feint d’ignorer – ces passions idéologiques dont est friand le camp d’en face. C’est ce qui change tout quand l’événement soudain bouscule les lignes et les repères. La droite a des querelles d’héritage et la gauche, des guerres de religion. Les unes se règlent devant notaire. Elles sont provisoires, même si elles se nourrissent de rancœurs. Les autres se règlent devant l’Histoire. Elles sont éternelles, même si elles sont susceptibles de brefs édits de Nantes.

En est-on là aujourd’hui ? Dans la guerre des gauches, l’armistice est toujours le fruit d’un déséquilibre des forces ou des idées. A-t-on jamais levé le drapeau blanc ou abaissé le drapeau rouge – c’est égal – quand le sort de la bataille n’est pas encore réglé ? Pour que le Front populaire s’installe, il a fallu que la famille communiste renonce du jour au lendemain à cette stratégie d’affrontement dite de «classe contre classe» qui conduisait tout droit à sa liquidation. En 1981, l’union de la gauche n’a su trouver une traduction gouvernementale qu’après une présidentielle dont le fait essentiel avait été l’humiliation de Georges Marchais dans sa compétition avec François Mitterrand. D’une manière ou d’une autre, la gauche dite «plurielle» de 1997 autour de Lionel Jospin et la gauche sans nom de 2012, derrière la pâle bannière de François Hollande, ont fonctionné à leur début avec des ressorts comparables.

Le fond du problème est que ceux-ci, désormais, n’existent plus ou alors qu’ils se sont détendus sans être remplacés par d’autres qui soient suffisamment puissants et/ou crédibles. La décantation qu’on peut observer dans les sondages ou dans les votes de primaires a des allures de massacre. Les têtes qui tombent sont celles des gloires fanées du quinquennat hollandais. Elles ont été remplacées – mais jusqu’à quand ? – par des frimousses plus ou moins fraiches dont personne n’imaginait, il y a moins d’un an, qu’elles puissent ainsi s’imposer. Début 2016, Macron n’était un ministre rebelle comme peuvent l’être les adolescents et qui jurait fidélité matin et soir au Président qui l’avait fait. Hamon en était encore à se faire pardonner par les frondeurs ses anciennes tentations vallsistes. Mélenchon, enfin, n’en finissait pas de régler ses comptes avec la terre entière en commençant par ses ex-alliés communistes.

Cette instabilité défie les lois de l’analyse. Elle rend prudent – il était temps ! – l’observateur moyen lorsqu’il cherche à comprendre où tout cela nous mène. Une fois qu’on aura dit que l’équilibre entre la gauche de gouvernement et la gauche de contestation est en train de changer, que la synthèse sociale-démocrate est en train d’éclater, qu’entre la gauche qui marche sous le drapeau libéral, la gauche des comités, comme disait Thibaudet, qui a pris en main la primaire au nom des traditions oubliées et la gauche des élus qui cherchent d’où vient le vent, plus rien n’est désormais d’équerre, on n’aura guère avancé. Et cela pour la simple raison qu’il manque la réponse à la seule question qui vaille : laquelle est aujourd’hui capable d’imposer sa puissance et donc sa loi ?

Idéologue dans l’âme, la gauche, dans ses différentes composantes, peut redevenir épicière si la partie en vaut la chandelle. Si tel n’est pas le cas, elle poursuit l’exégèse des tables de sa loi. Pour le dire autrement, de manière plus crue : soit l’un de ses candidat – Macron ? – poursuit son échappée belle et alors un rassemblement redevient possible, fut-ce a minima; soit Macron, Hamon et Mélenchon s’équilibrent dans une course aux abimes devenue inéluctable et alors c’est l’éclatement garanti pour longtemps. Faites vos jeux !

La première version de cet article a été publiée le 3 février 2017 dans les pages Débats du Figaro