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Sarkozy dans la nasse judiciaire

Sarkozy dans la nasse judiciaire

En validant la procédure et la quasi totalité des écoutes judiciaires visant Nicolas Sarkozy et, à travers lui, son avocat, Thierry Herzog et un ancien magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a ulcéré ses supporters sans modifier pour autant son système de défense. À chaque épisode de ses aventures judiciaires, les porte-paroles officiels ou auto-proclamés de l’ancien président de la République brodent sur un argumentaire immuable, destiné à l’opinion, et dont on ne peut pas dire qu’il brille par sa sophistication.

Si les nouvelles sont mauvaises, ils expliquent en chœur que des juges politisés ou revanchards viennent de se livrer à une nouvelle vendetta commanditée par l’Élysée. Si les nouvelles sont meilleures, ils rappellent, avec le même aplomb, que leur héros, telle une blanche colombe, n’a jamais été condamné, à quel que titre que ce soit, et que cette virginité judiciaire l’accompagnera nécessairement tout au long de sa carrière.

Cet argumentaire rustique présente un double défaut. Le premier est d’être vicié dans sa logique même. Il y a, en effet, une sacrée contradiction, dans un raisonnement qui postule que la justice est nécessairement aux ordres mais qui conclut aussitôt en constatant que les dits ordres, venus d’en haut, ne débouchent jamais sur rien de concret. Dès lors que ses adversaires sont aussi malfaisants et surtout aussi maladroits ou inefficaces, Nicolas Sarkozy ferait mieux de dormir sur ses deux oreilles, quitte à profiter des circonstances pour mettre en scène son calme et son sang-froid. Visiblement, on en est loin et ça n’est pas tout à fait par hasard.

L’argumentaire sarkozyste présente d’ailleurs un autre défaut qui pour être d’une nature différente n’en est pas moins embêtant. Il repose en effet sur un mensonge éhonté dont il est d’ailleurs curieux qu’il ne soit pas souligné plus souvent. Le patron de l’UMP, en effet, n’est pas l’innocent qu’il prétend. Son casier, comme on dit, n’est pas vierge. Nicolas Sarkozy aime rappeler qu’il a été mis hors de cause dans l’affaire Bettencourt. Mais il oublie toujours de dire qu’il été condamné – et lourdement ! – par le Conseil constitutionnel en juillet 2013 pour ne pas avoir respecté la loi, lors de la campagne présidentielle de l’année précédente. Dans l’histoire de la Cinquième République, aucun candidat d’un tel rang n’avait subi pareille sanction. Les juges du Palais Royal ont estimé, chiffres et factures à l’appui, que les comptes qu’on leur avait soumis étaient insincères et que les plafonds de dépenses, prévus par la loi, avaient été manifestement crevés.

Laisser entendre, comme Nicolas Sarkozy l’a fait à plusieurs reprises, ces derniers temps, que cette infraction s’apparenterait à un léger excès de vitesse, trop lourdement sanctionnée par des gendarmes tatillons ou mal intentionnés, est une vaste plaisanterie. Dans toute compétition – fut-elle électorale – celui qui ne respecte pas les règles se comporte comme un tricheur. En 2012, Nicolas Sarkozy s’est dopé. Il a été puni sévèrement par le juge de l’élection qui, en l’occurrence, n’a fait qu’appliquer la loi à la lettre en le frappant, lui et son parti, au portefeuille. Cette sanction n’était susceptible d’aucun recours. Pour un parlementaire ordinaire, elle aurait été assortie d’une peine d’inéligibilité automatique. On voit bien cependant combien l’affaire Bygmalion et celle du remboursement par l’UMP de l’amende infligée à l’ancien président ne sont que des déclinaisons d’un dossier que Nicolas Sarkozy traîne derrière lui comme d’autres le font d’un boulet.

Des boulets, l’ancien président de la République en a désormais deux. Un à chaque pied. Ce qui, dans la course présidentielle à laquelle il se prépare, est un handicap de taille. Dans la liste des affaires qui le menacent encore, celle des écoutes est la plus dangereuse. Les motifs d’inculpation de Nicolas Sarkozy – «corruption active», «trafic d’influence», au premier chef – sont infamants pour un homme qui ambitionne d’exercer à nouveau la magistrature suprême et qui se voit ainsi accusé d’avoir voulu corrompre ce qui constitue le cœur du système judiciaire français : la Cour de cassation.

Quand on fait le point, aujourd’hui, sur cette affaire ô combien explosive, il est d’ailleurs stupéfiant de voir combien la ligne défense sarkozyste fait fi des règles les plus élémentaires du droit. Lorsque l’ancien président – alias Paul Bismuth – a été mis en examen, ses soutiens ont organisé la contre-offensive en faisant monter au front une pléthore d’avocats qui, via des pétitions à jets continus, ont tenté de faire croire qu’à travers la mise sur écoute par la police d’un justiciable et son avocat, les règles les plus élémentaires de la justice avaient été violées. Or, c’est précisément tout l’intérêt de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris que de montrer qu’en l’occurrence, c’est la loi – rien que la loi – qui avait été appliquée pour des délinquants présumés utilisant par ailleurs des méthodes qui s’apparentent à celle du milieu.

On peut bien sûr contester cette loi et estimer, par ailleurs, qu’elle pourrait être améliorée et rendue plus respectueuse encore du droit des personnes soupçonnées. Mais, tant que celle-ci est en vigueur, en l’état, elle s’impose nécessairement à tous. Ce sont là des banalités qui, visiblement, échappent aux sarkozystes de tout poil et de toute obédience qui se faisaient, hier, les chantres de la tolérance zéro et qui, aujourd’hui encore, montent régulièrement au front quand ils estiment que le pouvoir d’investigation de la police, sous le contrôle des juges, n’est pas suffisamment respecté. Ce sont enfin souvent les mêmes qui, dans le débat récent autour du projet de loi sur le renseignement et la sécurité intérieure, ont regretté – et sur quel ton ! – que la surveillance des délinquants présumés ne soit pas placée sous l’autorité de magistrats de l’ordre judiciaire et qui expliquent soudain que ces mêmes magistrats sont nécessairement suspects de partialité. Allez comprendre…

En annonçant qu’ils allaient se pourvoir en cassation, Nicolas Sarkozy et ses défenseurs poursuivent d’ailleurs sur une voie éminemment dangereuse – et corruptrice – pour l’ensemble de l’institution judiciaire. Certes, ils ne font qu’exercer en l’occurrence un droit qui est celui de tout justiciable. Mais comment ne pas voir qu’ils placent ainsi la plus élevée des juridictions de l’ordre judiciaire dans une situation impossible où quoi qu’elle fasse et quoi qu’elle dise désormais, sa réputation d’impartialité risque d’être écornée. La procédure qui va lui être soumise porte en effet sur une affaire qui la concerne au premier chef puisqu’il s’agit d’une tentative de corruption sur un homme, Gilbert Azibert, qui fut jusqu’à l’année dernière, son avocat général. Rien de moins…

Or, c’est à cette même Cour, devenue désormais juge et partie, deux fois perquisitionnée hier par la police, soupçonnée donc à travers l’un de ses principaux représentants de ne pas être l’instance judiciaire insoupçonnable qu’elle devrait être, qu’on demande d’être la gardienne d’un droit qui aurait été violé, en son sein même. Entre l’institution et ceux qui l’animent – ou plutôt l’animaient, s’agissant de Gilbert Azibert – il y a bien sûr une différence de taille. N’empêche que le piège est terrible et qu’il va bien au delà du destin particulier d’un magistrat prétendument corrompu.

Quand ils demandent de surcroît que la Cour de Cassation se prononce en urgence, Nicolas Sarkozy et ses défenseurs montrent enfin qu’ils se soucient comme d’une guigne des difficultés inhérentes à ce genre de dossier. Ils mettent en avant un calendrier politique et électoral dont on peut mesurer l’importance pour ce qui les concernent mais dont on voit mal pourquoi il devrait s’imposer à des magistrats chargé de dire le droit et de faire appliquer la justice. Une fois encore, l’ancien président de la République qui aspire à le redevenir, se comporte comme s’il était un justiciable extraordinaire, susceptible à ce titre de bénéficier d’avantages ou de passe-droits à la hauteur de son passé et de ses ambitions futures. On peut comprendre ses angoisses. Vue la nature des écoutes, vu surtout ce qu’elles ont révélées, on voit mal comment Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog pourraient sortir indemnes, demain, du procès en correctionnel qui leur pend désormais au nez. L’enquête des juges d’instruction a été interrompue jusqu’à ce que la Cour d’appel se prononce. Ce qui prouve au passage que le justice n’est pas toujours défavorable aux intérêts de l’ancien président réélu, entre temps, patron de l’UMP. Mais cette même enquête va pouvoir redémarrer sans qu’il soit nécessaire d’attendre que statue la Cour de Cassation.

Quand on sait les pièces dont disposent d’ores et déjà les juges, il y a fort à parier que la ligne de défense de Nicolas Sarkozy va devenir de plus en plus périlleuse. Si tout se passe dans les délais habituels, son pourvoi en cassation devrait être examiné, au mieux, au début de l’année 2016. Si ce même pourvoi est rejeté, tout indique que le procès en correctionnel sera programmé à l’automne de la même année. C’est à dire, en même temps que la primaire destinée à choisir le candidat de la droite pour la prochaine présidentielle. Politiquement, ce calendrier est explosif. Judiciairement, il est indiscutable.

Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que seule la politique soucie Nicolas Sarkozy. C’est même là ce qui, depuis le début, le place dans une situation impossible et explique que ses porte-parole n’aient qu’un seul objectif : tordre le bras à des juges en déconsidérant, à l’avance, la moindre de leurs décisions lorsqu’elles ne vont pas dans le sens attendu. Nicolas Sarkozy voudrait qu’avec lui, on ne rende pas la justice mais un service. Il oublie qu’il y a belle lurette que la magistrature n’est plus aux ordres. Jacques Chirac et Alain Juppé pourraient le lui confirmer sans peine. Il s’est placé, en tous cas, dans une situation où il ne peut s’en sortir qu’en détruisant, à chaque étape des procédures qui le visent, ce pilier de la République qu’on appelle tout simplement le droit.