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Régionales : l’impossible front anti-FN

Régionales : l’impossible front anti-FN

À droite, Nicolas Sarkozy assure qu’il n’y aura pas de front républicain lors des élections régionales de décembre. À gauche, Manuel Valls promet que «tout sera fait» pour barrer la route au FN lors de ces mêmes rendez-vous. Entre ces deux positions extrêmes, il y a tout une gamme de positions et de postures qui les nuancent, les corrigent ou les aménagent. C’est le cas plus particulièrement au PS qui, il est vrai, demeure le plus directement concerné puisque dans le nouveau paysage tripolaire de la politique française, il est aujourd’hui la force la moins puissante. Or toutes ces gammes dans le discours, même si elles ne paraissent que de détail, contribuent à brouiller la perception de ce que sera exactement la situation des différentes formations politiques, au soir du 1er tour, là où le FN semble installé en position de force.

Pour comprendre, mieux vaut donc examiner un cas précis – celui de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie – tout en se calant, par simple hypothèse, sur les résultats d’un des derniers sondages d’intentions de vote; celui de l’Ifop, en l’occurrence. Dans cette enquête, réalisée du 21 au 23 octobre, la liste du FN conduite par Marine Le Pen, arrive en tête du 1er tour avec 38% des voix. Celle des Républicains, de l’UDI, du Modem et du CNPT, dirigée par Xavier Bertrand, obtient 26%. À droite, deux petites listes dont celle de Debout la France, recueillent chacune 1,5% des voix. Enfin à gauche, la liste du PS et du PRG emmenée par Pierre de Saintignon rassemble 19% des suffrages exprimés, suivie par celle d’Europe-Écologie-les-Verts, du Parti de gauche et de Nouvelle Donne (9%), par celle du PC (4%) et de Lutte ouvrière (1%).

Si tel devait être le résultat effectif du 1er tour, au soir du 6 décembre, quel sera alors le comportement prévisible des différentes listes en présence ? Seules trois d’entre elles – celles de Marine Le Pen, de Xavier Bertrand et de Pierre de Saintignon – seront en mesure de concourir pour le second tour. En revanche la liste écolo-mélenchoniste sera éliminée, puisqu’elle n’aura pas franchi la barre des 10%, tout en gardant la possibilité de fusionner, puisqu’elle aura franchi celle des 5%. Enfin, toutes les autres listes seront exclues, à quelque titre que se soit, du tour décisif. Sur ces bases, toute la question est de savoir comment s’opéreront les regroupements nécessaires pour que, sur la base d’un rapport de force extrêmement défavorable aux partis de l’arc républicain, la victoire du FN ne soit pas une simple formalité.

C’est d’ailleurs là que les choses se compliquent singulièrement. Dans ce genre de situation, la logique et l’habitude veulent que la liste anti-FN la mieux placée soit chargée de conduire la bataille du second tour. Mais précisément quelle est-elle ? Est-ce celle de la droite, conduite par Xavier Bertrand, qui, de fait, est arrivée en seconde position au soir du 6 décembre avec une avance confortable sur tout ses concurrentes. Ou est-ce celle de la gauche, dés lors, que la fusion socialo-écolo – pour faire court – est dans la logique des choses ?

Dans un cas, on compare le score des listes de Xavier Bertrand et celle Pierre de Saintignon et l’on constate que la première possède neuf points d’avance. Dans l’autre, on regarde le rapport de force gauche/droite et on observe alors que le regroupement des gauches (19% + 9%) lui donne un capital à peu prés égal à celui du rassemblement possible des droites (26% + 1,5%). En affinant encore davantage, on peut même estimer que le potentiel de la gauche, dès lors que le PC, éliminé du second tour, peut appeler à voter pour la nouvelle liste de Saintignon lui donne un avantage certain : 19% + 9% + 4%, soit 32% contre 28% + 1,5%, soit 29,5%.

On devine aisément quel sera le débat, au soir du 1er tour. Pour espérer barrer la route de Marine Le Pen, les partis de l’arc républicain ne peuvent se résigner à une triangulaire mais en même temps, ils n’auront pas en main les règles permettant d’éviter pareille situation. L’élection régionale n’est pas une présidentielle où seuls les deux candidats arrivés en tête peuvent concourir pour la finale. En 2002, la gauche, parce qu’elle était éliminée, ne pouvait pas faire autrement que d’appeler à voter pour Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen. En 2015, en revanche, dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, elle aura, quoiqu’il arrive, la possibilité de se maintenir avec, de surcroît, l’argument selon lequel sa défaite n’est pas aussi avérée qu’on veut bien le dire et qu’il serait, du coup, absurde de lui demander de retirer sa liste avec, pour conséquence, de la priver de toute représentation dans la future assemblée régionale.

Dans ce contexte, la seule alternative possible est celle de la fusion gauche-droite sur la base du rapport de force constaté au 1er tour. Mais outre le fait qu’elle n’est envisagée, pour l’instant, par aucune des parties en présence et qu’elle ne garantirait en rien la défaite de Marine Le Pen, elle se heurterait à une difficulté majeure : qui pour la conduire et présider, demain, le conseil régional dans l’hypothèse d’un succès au second tourn? Quelle cohérence et donc quelle crédibilité aurait par exemple une liste de large rassemblement dont Xavier Bertrand serait le chef de file sans que ses amis politiques y soient majoritaires ?

Admettons donc que cette solution de la fusion gauche/droite soit définitivement écartée. Admettons également que Xavier Bertrand, comme tout laisse à penser, campe, jusqu’au bout, sur sa ligne de refus du front républicain et explique qu’en arrivant en seconde position, lors du 1er tour, il s’est qualifié de facto, pour l’affrontement final face à Marine Le Pen. Si, à gauche, personne ne bouge, la victoire du FN est acquise. On pourra alors dire qu’en refusant le moindre compromis, la droite a offert la région à la patronne du Front. Pour éviter pareille catastrophe qui, pour lui et le reste de sa carrière, serait une tache indélébile, la tête de liste des Républicains ne peut aujourd’hui qu’espérer une performance de 1er tour qui le désignerait, incontestablement, cette fois-ci, dans une position de challenger. On n’en est pas encore là…

Si l’on s’en tient au rapport de force constaté dans le dernier sondage de l’Ifop, c’est à gauche qu’il faudra donc regarder pour deviner ce que pourrait être un dispositif anti-FN digne de ce nom. Soit celle-ci se cale sur la ligne probable de Xavier Bertrand et alors, les jeux sont faits d’avance et Marine Le Pen peut sabler le champagne avant même d’être élue. Soit elle accepte de se sacrifier mais même, dans cette hypothèse extrême, elle ne sera pas au bout de ses peines. On peut estimer que le fusion entre la liste de Saintignon et celle d’EELV et du Parti de gauche est désormais acquise en cas de participation au second tour. Dans ce genre d’opération en effet, c’est la tête de liste qui décide et les mélenchonistes seront contraints de se plier au choix de leur chef de file écolo. Mais en cas de retrait décidé par les stratèges socialistes, que se passera-t-il concrètement? Leurs alliés potentiels les suivront-ils sur cette voie ?

Cette question n’est jamais abordée et, de fait, elle peut paraitre secondaire au regard de l’enjeu principal de la résistance au FN. Est-elle pour autant négligeable ? Si, dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, la liste de Saintignon se retire, ce sera pour tenter d’empêcher la victoire de Marine Le Pen. Mais ce retrait aura-t-il encore un sens si les autres listes de gauches – écolos ou communistes – n’adoptent pas la même attitude ? On peut demander beaucoup de choses aux socialistes, sauf d’être les seuls à se sacrifier. La stratégie du retrait ne peut donc être que global, sauf à imaginer – ce qui serait bien sûr absurde – que dans la future assemblée régionale, toutes les forces politiques aient une représentation, à l’exception du PS. Cela signifie concrètement que si, au soir du 6 décembre, aucune négociation n’est possible avec Xavier Bertrand, il faudra quand même qu’une autre s’ouvre entre les partenaires de la gauche pour que la position choisie soit unanime. Or, là encore, rien en permet de d’affirmer, dans l’hypothèse du retrait et donc du soutien à la droite, que cela soit acquis d’avance.

Tout cela pour dire qu’aujourd’hui, la victoire annoncée du FN dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie ne tient pas seulement au score qui lui est promis au 1er tour mais aussi aux difficultés évidentes que rencontrent tous ceux qui prétendent s’y opposer. Pour qu’un front réublicain se mette en place, encore faudrait-il que toutes les parties en présence se rallient à cette stratégie. Ce n’est pas le cas, du fait de la droite. Ce n’est pas le cas non plus, du fait de la gauche qui ne dit toujours pas si, dans l’estimation du rapport de force, au soir du 1er tour, elle se référera à l’ordre d’arrivée des différentes listes en présence ou si elle comparera le poids respectif des regroupements possibles. Enfin, s’agissant du Nord-Pas-de-Calais-Picardie, le fait que la droite et le bloc des gauche soient aujourd’hui au coude à coude n’est pas fait pour faciliter un éventuel compromis dont on sait d’ailleurs bien, d’expérience, qu’il ne s’annonce jamais à l’avance, sans que les uns et les autres aient entre les mains les résultats exacts du 1er tour.

Reste que dans une situation où la poussée du FN est telle que sa victoire paraît presque acquise, il est douteux que les partis de l’arc républicain aient encore la force d’imaginer des solutions dont ils sont les premiers à douter qu’ils puissent avoir l’effet espéré.

Le pis, dans cette affaire, est que le cas du Nord-Pas-de-Calais-Picardie n’est pas une exception. En PACA, au vu des derniers sondages, le scrutin de décembre se présente dans des conditions assez comparables en ce qui concerne, tout au moins, le rapport de force gauche/droite face à un FN moins puissant mais tout aussi menaçant. Pour que la donne change un peu, dans ces deux régions, et avec elle, les marges tant des Républicains que du PS et de ses alliés potentiels, il faudrait qu’au cours du mois qui précède le 1er tour du 6 décembre, les uns ou les autres parviennent à prendre un avantage plus net qu’aujourd’hui. En ce sens, c’est donc bien la campagne qui, dans sa dernière ligne droite, peut dénouer – fut-ce à la marge – cette situation bloquée que les propos martiaux de Nicolas Sarkozy et de Manuel Valls illustrent plus qu’ils ne la résolvent.