Blog

Quand la primaire dicte, à droite, les rôles et les postures

Quand la primaire dicte, à droite, les rôles et les postures

Pour le moment, tout se déroule comme prévu. La primaire dans «sa pureté de cristal», comme aurait dit Raymond Barre… Dans cet exercice pour elle inédit, la droite met ses pas dans ceux de la gauche. Elle copie jusque dans le moindre détail ce qui a marché en 2011. Et c’est bien normal! Sur le plan technique, il y a une logique des primaires que les socialistes avaient exploré en leur temps et que les Républicain découvrent à leur tour. Peu importe les pensées et arrières pensées de ceux que se prêtent à ce jeu. La primaire, c’est le décalque absolu, sur un plus petit périmètre, de la compétition phare de la Cinquième République, c’est à dire de la présidentielle. Forte de l’expérience d’il y a quatre ans, la droite ne fait que perfectionner cette procédure. La primaire, avec elle, s’annonce simplement plus longue et plus dure. Trois mois de campagne officielle pour un scrutin prévu fin novembre, là où les socialistes s’étaient contentés de moitié moins, étant entendu que les véritables hostilités commenceront, chez les Républicains, dès le lendemain des régionales de décembre prochain.

Après le temps des explorateurs de 2011, voici ainsi venu celui des baroudeurs. Chacun connaît son rôle et celui de ses compétiteurs. Tous sont entrés dans le répertoire de la politique et c’est cette absence d’innocence qui donne aux débats qui s’esquissent un tour aussi rude. À cela s’ajoute un problème culturel. Le PS avait l’habitude de ces batailles rangées qui ne sont créatrices qu’à condition de déboucher sur la synthèse ou, pour le moins, sur le rassemblement. Combien de fois, dans ses congrès successifs, n’en a-t-il pas fait la démonstration ? Les Républicains, sur ce point, sont puceaux. La nouveauté est entière, pour eux. Ils aiment chasser en meute derrière un chef. Or, dans une primaire, il n’y a pas de chef puisque le but, précisément, est d’en désigner un.

D’un côté, un exercice désormais sans mystère dans son mode d’organisation, de l’autre une hésitation d’ordre culturel sur les effets prévisibles de la compétition : cette tension met la droite au bord de la crise de nerf. Et ce n’est qu’un début. Beaucoup, dans ses rangs, confient du même coup que l’explosion est désormais inévitable. Avant ou après le scrutin ? Les paris sont ouverts. Sans doute un peu tôt car c’est le propre de la primaire que de tout emporter sur son passage et que d’imposer ses lois, y compris à ceux qui les contestent. Il est d’ailleurs curieux de voir combien cette droite dont les racines sont, paraît-il, gaullistes, ne parvient pas à admettre qu’il en va de la primaire comme de l’élection du président de la République au suffrage universel. Dans les deux exercices, c’est du tout ou rien. Soit on le refuse, à la Mendès, et on reste immanquablement sur le bord de la route. Soit on l’accepte mais, alors, il ne faut pas chipoter. L’électorat, en tous cas, n’aime pas qu’on prétende lui donner la parole tout en essayant de la lui retirer, fut-ce en catimini.

Que sait-on déjà de la primaire des Républicains, outre le fait que, sur le papier, au moins, tous ses leaders jurent qu’elle est désormais leur boussole ? Potentiellement, elle passionne. Si l’on en croit un sondage Ipsos, réalisé fin août, les conditions sont réunies pour qu’en novembre 2016, la participation soit du même ordre qu’en octobre 2011. Soit 2,5 à 3 millions d’électeurs. On voit mal d’ailleurs comment il en serait autrement dès lors que tous les leaders de la droite se sont portés candidats. On a souvent entendu dire que Nicolas Sarkozy voulait confiner le vote au noyau dur militant de son parti. Mais quand il entrera officiellement en lice, on le verra, comme ses compétiteurs, appeler à la mobilisation la plus forte possible, sauf à prendre le risque suicidaire de n’être plus qu’un candidat de second rang.

Autre certitude : dans la primaire des Républicains, les dés n’ont pas fini de rouler. Là encore, les sondages ne sont qu’une indication mais il est déjà clair qu’aucun des compétiteurs ne peut se dire favori. DSK l’était en son temps,à gauche, avant qu’il ne sorte de la route dans les conditions que l’on sait. Nicolas Sarkozy espérait l’être à son tour, au motif qu’il était une manière de sortant. Mais cette évidence n’est plus au rendez-vous. Entre lui et Alain Juppé, l’écart est trop faible, sur la ligne de départ, pour que l’un ou l’autre puisse revendiquer ce statut enviable. Pis, alors que les candidatures se multiplient à droite, la probabilité la plus forte est qu’il y aura deux tours et non un seul, lors de la primaire de l’année prochaine. Dans une formation aussi peu habituée à ce genre de compétition, c’est une difficulté supplémentaire qui nourrit la nervosité ambiante. Non seulement Sarkozy n’est pas le favori qu’il prétendait être mais son statut particulier, ajouté à son tempérament, le place dans une situation où le risque, pour lui, est devenir, dans un rejet partagé, l’unique sujet de rassemblement de tous les autres.

Dans ce contexte, chacun des compétiteurs décline déjà sa partition dans un registre particulier. C’est le propre de la primaire, en effet, de favoriser les postures ou les discours sectoriels aux dépens des projets globaux. Chercher le bon créneau, c’est entretenir une part de marché. Pas forcément pour gagner mais, au moins, pour devenir, lors du tour décisif, un faiseur de roi. Ou, pour parler comme Arnaud Montebourg autrefois, «un allié de référence». Cette fragmentation encourage la multiplication des candidatures en dépit des filtres imaginés par les concepteurs de la compétition. Rien n’est encore joué, sur ce plan, mais il est possible que la vraie différence entre la primaire de la gauche et celle, demain, de la droite, soit dans le nombre des prétendants de niveau secondaire qui se présenteront sur la ligne de départ.

La primaire est en passe de devenir le tableau d’honneur du parti qui l’organise. Quiconque n’y participe pas – ou ne fait pas mine d’y participer – s’exclut du même coup du cercle étroit des dirigeants qui comptent. On appellera ça l’étalon Morano. La nouvelle idole de «la race blanche» n’aura sans doute pas les moyens d’aller au bout de ses ambitions. Elle montre toutefois qu’à droite, chacun cherche à revendiquer un des rôle-titres du répertoire de la primaire. C’est à la lumière de ce casting qu’il faut lire et comprendre la manière dont les principaux candidats s’installent dans leurs couloirs respectifs.

À tout seigneur, tout honneur : Nicolas Sarkozy. Il avait imaginé revenir dans la partie, le plus tard possible, sur le mode ô combien classique, du sauveur qui fait don de sa personne à son camp. Les affaires et les luttes de pouvoir, au sein de l’ex-UMP, en ont décidé autrement. Le voilà président des Républicains, lancé dans l’arène bien plus tôt qu’il ne l’avait imaginé. Dans la bataille qui s’impose à lui, il avait plusieurs cartes en main mais la seule qu’il joue véritablement est celle que personne ne peut lui contester. Chef de parti, il est. Chef de parti, il sera dans la primaire. C’est risqué mais on voit bien combien Nicolas Sarkozy se laisse entraîner par la logique de son poste.

Il tente de lier les mains de ses adversaires en bâtissant un projet, validé par les militants, dont il veut croire qu’il s’imposera à tous. D’autres, à gauche, avant lui, ont tenté semblable opération, sans succès évident. Dans la primaire socialiste de 2011, Martine Aubry a perdu toute réactivité et toute imagination pour la simple raison qu’elle était la seule candidate à être tenue par le projet qu’elle avait béni en son temps. On peut penser que demain, Nicolas Sarkozy, n’aura pas de tels scrupules de cohérence. N’empêche que son poste de patron du parti l’oblige et, au fond, le contraint. La seule façon, pour lui, de tourner cette difficulté est de tenter de dicter l’agenda de la primaire, au plus près des aspirations du noyau dur de son électorat traditionnel. Là où sa crédibilité semble la plus forte. L’immigration et l’identité nationale : cela peut constituer la base d’un projet victorieux dans la compétition de la droite. La problème pour Nicolas Sarkozy est de savoir, pour la suite, si ce n’est pas un peu court dans une compétition présidentielle, même placée sous la coupe de la pensée FN.

La primaire conduit inévitablement tout chef de parti qui y concourt à poser prématurément sur la table l’ensemble de son programme, loin des échéances décisives. Pour ses compétiteurs, c’est selon. Le risque, pour Nicolas Sarkozy, est donc de se voir pris entre deux feux. François Fillon, parce qu’il est sorti des premiers rôles, tente de rattraper le terrain perdu en affichant un projet cohérent et construit, sans doute trop dur pour espérer remporter la mise mais dont la fonction essentielle est de souligner les manques et les failles de ses principaux concurrents. L’ancien Premier ministre est dans la primaire qui vient une sorte de Montebourg qui jouerait sa dernière partie et qui, à la différence de son modèle, n’espérerait plus grand chose pour la suite. Sa force de percussion permet de détruire et non de gagner. Fillon que l’on dit si sage est potentiellement le dynamiteur de la primaire de la droite, sur le plan des idées.

Alain Juppé, lui, a engagé la bataille sur l’autre aile du dispositif sarkozyste. Sa campagne des primaires est la copie exacte de celle qu’a menée, en 2011, François Hollande. Celui-ci avait gagné car il était jugé le moins socialiste de tous, bien qu’il ait été longtemps premier secrétaire, et parce qu’il était réputé être le candidat le mieux placé pour battre le président sortant. Aujourd’hui, Alain Juppé, fondateur de l’UMP, est perçu comme un modéré dont la désignation, lors de la primaire, signerait l’arrêt de mort assuré de l’actuel chef de l’État.

Pour avancer victorieusement, il cherche donc à entretenir sa réputation sans être, pour autant le ventre mou de la compétition. L’exercice est compliqué. Il suppose en fait que d’autres que lui fassent, contre Nicolas Sarkozy, un travail de sape idéologique lui permettant de se contenter d’un seul travail d’image. Là encore, Alain Juppé n’innove pas. Il se pose, tel François Hollande en 2011, comme l’homme d’une synthèse capable de recueillir, au second tour, l’appui des procureurs de toute nature – François Fillon par exemple – et des rénovateurs de tous poils – Bruno Le Maire, notamment – pourvus qu’ils communient dans un commun rejet du sarzozysme présidentiel. Ce qui reste, quand même, à vérifier.

Tout cela,bien sûr, n’est qu’à l’état d’esquisse. Dans une primaire qui fixe sa loi, les candidats en présence n’ont pas vraiment le choix de la posture qu’il leur faudra adopter. L’inconnue est surtout dans la manière dont il sauront la décliner au mieux, compte tenu de leurs atouts de départ. Rien n’est encore écrit mais tout semble déjà dicté. Là est la principale curiosité d’une procédure désormais sans mystère qui offre peu de prise à l’improvisation des acteurs et qui les contraint à ce point qu’en effet, on peut parfois se demander s’il accepteront jusqu’au bout, sans casser la baraque, l’exercice obligé auquel ils se sont tous ralliés.