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Pourquoi Aubry renonce

Pourquoi Aubry renonce

Martine Aubry ne déposera pas de motion pour le prochain congrès du PS, à Poitiers. Officiellement, cette décision doit être prise, mardi soir, lors d’une réunion de ses principaux soutiens. Mais, dès à présent, la messe est dite. C’est avec la majorité actuelle du PS, dans un rassemblement conduit par le premier secrétaire du PS, Jean Christophe Cambadélis, que la maire de Lille prendra part à cette bataille désormais sans surprise et qui s’achèvera inévitablement par la reconduction de la direction sortante avec plus de 60% des voix. Cette synthèse à la mode hollandaise assure dores et déjà au chef de l’État et à son Premier ministre le répit qu’ils espéraient alors que la gauche vacille, au lendemain des élections départementales, et que les prochaines échéances électorales – régionales, fin 2015 et présidentielle, en 2017 – se présentent sous les plus noirs auspices. Faut-il pour autant s’en étonner ? Voici les quatre principales raisons qui expliquent qu’une fois encore, Martine Aubry ait choisi cette voie – au choix! – de la sagesse ou de la résignation qui colle si mal à l’image de virago ou de dame de fer qu’on lui colle trop souvent à la peau.

1 – Martine Aubry va avoir 65 ans en août prochain. C’est, pour elle aussi, l’heure de la retraite. Elle n’envisage pas, en tous cas, de poursuivre sa carrière politique au delà des prochaines échéances municipales. Jouer dans la cour des très grands n’est plus dans ses intentions. Elle l’a dit dés la fin de l’année dernière à François Hollande. S’il veut repartir en 2017, elle s’inclinera devant ce choix qu’elle juge de toute façon sans issue. Pas question, d’ici là, de briguer de nouvelles responsabilités. Martine Aubry ne veut plus être ministre, même si, par miracle, on devait lui proposer Matignon. Elle ne veut pas davantage s’impliquer directement dans la bataille des prochaines régionales, en dépit de la menace frontiste sur ses propres terres nordistes. Or, en conduisant une motion lors du congrès du PS, Martine Aubry aurait inévitablement entraînée plus loin qu’elle ne le veut, quel que soit le score obtenu. Quand on met le doigt dans ce genre de mécanique, il est toujours difficile de le retirer ensuite en expliquant que la bataille engagée n’était qu’un bref exercice de mobilisation, sans lendemain possible. Ne pas signer de motion qui lui soit propre était donc, pour Martine Aubry, la seule façon de signifier clairement qu’il ne fallait plus compter sur elle pour de futurs combats nationaux.

2 – Martine Aubry n’a jamais proposé un véritable projet alternatif. C’était déjà vrai face à François Hollande, lors de la primaire de 2006. Ça l’est encore plus aujourd’hui. La maire de Lille recherche l’inflexion. Sociale-réformiste et européenne, elle veut peser et non renverser la table. Son ambition n’est pas plus contester la ligne et la manière de faire du Président – il est trop tard! – mais de les ramener autant que faire se peut à ce qu’ils auraient dû être, selon elle. Pour cela, Martine Aubry doit donc jouer à la marge, comme témoin d’une fidélité un moment oubliée. Quand elle désigne Valls et le social-libéralisme dont il serait l’incarnation, comme son véritable adversaire, elle se place en situation de contre-poids. L’aubrysme devient ainsi une manière de contre-réforme a-minima. Or dans ce genre d’opération, l’efficacité commande moins de jouer, au sein du PS, que de négocier directement avec le Président. D’autant que celui-ci y a désormais intérêt. Les amendements aubrystes ne seront pas tous intégrés dans le nouveau cours de la politique gouvernementale. Sur la réforme fiscale ou sur le CICE revu et corrigé, la maire de Lille a très peu de chance d’être écoutée. Mais au moins dans les mots et les intentions qu’ils esquissent, le changement est notable. Si la réforme envisagée du contrat de travail dans les petites entreprises n’est plus à l’ordre du jour, c’est aussi un peu grâce à elle. En ce sens, Martine Aubry est un frein. C’est sa façon à elle d’être «utile». Pour que ce soit encore plus le manifeste, François Hollande qui n’est pas chien, a accepté, avec l’appui résigné de Manuel Valls, de modifier l’habillage de la politique suivie depuis le lancement de pacte de responsabilité. On ne dira plus «j’aime l’entreprise» mais «j’aime l’investissement». Nuance… S’il ne fallait que ça pour que Poitiers ne soit pas la bataille de chiffonniers attendue, on comprend que les uns et les autres aient fini par s’entendre.

3 – Martine Aubry est une force sans troupes ou – ce qui revient au même – une réputation sans moyens. Dans l’opinion, elle reste parmi les responsables socialistes les plus populaires – ou les moins impopulaires – du moment. Son aura, chez les électeurs de gauche, est à peu près intacte. Son impact électoral, en revanche, est déjà plus mitigé, on l’a vu dans le Nord tant aux municipales qu’aux dernières départementales. Mais surtout son isolement dans l’appareil socialiste est total dès lors qu’elle refuse de se présenter comme le leader de l’aile gauche du PS. Pour des raisons qui sont à la fois personnelles et politiques, la maire de Lille a toujours fait le tri parmi les frondeurs au nom de l’idéal social-démocrate qui demeure le sien. Elle n’a jamais envisagé de se placer à la tête d’un rassemblement comprenant Benoît Hamon, Emmanuel Maurel, Marie-Noëlle Lieneman. A la différence de 2008, lorsqu’elle est devenue première secrétaire, la maire de Lille ne pouvait pas compter, cette foi-ci, sur l’appui logistique de professionnels tels Jean-Christophe Cambadélis et Claude Bartolone. Dans la meilleure des hypothèses, son éventuelle motion n’était pas assurée de pouvoir franchir la barre des 10 à 12% sans même avoir la certitude de pouvoir faire la balance lors de la constitution de la prochaine direction socialiste. L’opération motion, en ce sens, comportait trop de risques pour un gain on-ne-peut-plus hypothétique. Se mettre à couvert après avoir fait monter les enchères était, à l’évidence la solution la moins risquée. Demain, les plus déterminés des frondeurs crieront sans doute à la trahison tandis que, dans la majorité sortante, beaucoup noteront que les fameuses «couilles molles», si souvent dénoncées par la maire de Lille, n’étaient sans doute pas placées là où on le croyait. Mais là encore, y avait-il une alternative crédible ?

4 – Martine Aubry est aujourd’hui contestée sur ses terres nordistes. Par la droite, par l’extrême droite mais aussi, au sein même du PS. Au fil des ans, depuis que Pierre Mauroy lui a laissé sa ville en héritage, la maire de Lille avait su imposer progressivement sa loi, en imposant aux postes clés du système socialiste des hommes et des femmes dévoués à sa cause. Aujourd’hui que se dessine la fin de son règne, une contestation nouvelle est ne train de prendre ses marques. Son chef de fil, Patrick Kanner, est ministre de Manuel Valls. C’est surtout un hollandais de stricte obédience. La bataille qui s’annonce dans la fédération du Nord est d’abord celle de la succession. Elle se déploie désormais à ciel ouvert mais il était clair que s’avançant sous son seul drapeau, lors du congrès de Poitiers, Martine Aubry lui aurait donné le caractère d’un choc frontal et surtout risqué. Rien ne pouvait l’assurer, en effet, d’en sortir vainqueur. Le prix de la motion, ce pouvait être, du coup, la perte possible de cette fédération sans laquelle la maire de Lille ne saurait prétendre au statut de leader national du PS.

Résumons. Martine Aubry ne voulait pas faire cavalier seul. Elle n’avait pas les moyens de cette chevauchée solitaire. Elle a joué au bon moment ses quelques cartes avec la complicité d’un Président qui n’en détient guère plus et qui, pour une fois, avait besoin de son aide. Le coût de l’opération est minime pour l’un comme pour l’autre. C’est un mariage de raison qui se conclura, avant l’été, par l’arrivée au gouvernement d’un ou deux lieutenant de la maire de Lille. Sur le fond, cela ne change pas grand chose. Mais, dans la période actuelle, pas grand chose, c’est déjà beaucoup.