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Mélenchon, trop libéral et Duflot, peu libertaire ?

Mélenchon, trop libéral et Duflot, peu libertaire ?

Cécile Duflot a voté l’état d’urgence avec la majorité des parlementaires écolos. La logique aurait pourtant voulu qu’elle s’en abstienne. Jean-Luc Mélenchon a fait savoir que s’il avait été parlementaire, à la différence de la majorité des élus communistes, il n’aurait probablement pas voté l’état d’urgence. La logique aurait été, pourtant, qu’il l’approuve. C’est ce double paradoxe qu’il s’agit de comprendre.

Cécile Duflot est l’une des principales figures d’un parti qui plonge ses racines dans une tradition libertaire et pacifiste. L’écologie, bien sûr, est diverse. Elle mêle des cultures politiques parfois hétérogènes liées à la personnalité et aux parcours de ceux qui s’y retrouvent. Jean-Vincent Placé, par exemple, est plus républicain que l’ancienne ministre du Logement. De même, Daniel Cohn-Bendit est-il plus libéral que nombre de ses camarades passés, comme lui, par un certain gauchisme. Ce sont là des nuances que l’on retrouve dans toutes les formations politiques dès lors qu’elles ne se réduisent pas à une secte.

Il n’empêche que ces nuances ne sont viables qu’à condition d’être autant de variations autour d’un même thème. L’écologie est par nature, si on ose dire, un projet politique qui prône la résistance mais en aucun cas la guerre. Il lui arrive même de vanter la désobéissance dans une stricte lecture des droits individuels évidemment incompatible avec leur mise entre parenthèse dans le cadre de procédures d’exception.

Cela ne signifie pas que ses promoteurs soient incapable d’en mesurer la nécessité face aux menaces terroristes ou même environnementales. Mais la pente naturelle de l’écologie politique est celle d’une méfiance à la fois viscérale et construite à l’égard des logiques guerrières et des mobilisations qui en découlent lorsque l’État place le salut public au même rang que le respect des libertés civiles. De ce point de vue, l’approbation, même vigilante de l’état d’urgence par Cécile Duflot est bien plus étonnant que l’abstention, même compréhensive, ou le refus, même nuancé, d’une poignée significative de ses camarades rejoints, dans un texte argumenté, par 135 cadres écolos qui ne passent pas tous pour des gauchistes invétérés.

Pour Jean-Luc Mélenchon, c’est exactement l’inverse. On remarquera cependant que le leader du Parti de gauche a fait preuve, dans cette affaire, d’un sens de la nuance qui lui est peu coutumier. Son «probable» refus de l’état d’urgence, s’il avait été amené à se prononcer comme parlementaire, dit une forme d’embarras. Pour l’expliquer, restons-en, pour l’instant, aux principes.

Le courant auquel se rattache Jean-Luc Mélenchon est, pour l’essentiel, celui du jacobinisme républicain. S’y greffe, bien sûr, une ambition de transformation sociale dans une conception extensive des droits de l’homme et du citoyen. Tout cela a sa cohérence et ramène ceux qui la partagent à une relecture critique du moment fondateur que fut, à leurs yeux, la Révolution française.

Jean-Luc Mélenchon se veut l’héritier de 93. Il vénère Robespierre auquel ses proches ont consacré des hommages enflammés. Lui-même cite plus volontiers «l’Incorruptible» que les figures de la révolution socialiste qui ont bercé sa jeunesse trotskiste. On peut toujours discuter des rapports compliqués de Robespierre avec la guerre, surtout quand elle est de conquête. N’empêche qu’il l’a fit, et de quelle façon ! O mânes de Saint Just !

Jean-Luc Mélenchon se veut l’héritier de 93. Il vénère Robespierre auquel ses proches ont consacré des hommages enflammés. Lui-même cite plus volontiers «l’Incorruptible» que les figures de la révolution socialiste qui ont bercé sa jeunesse trotskiste. On peut toujours discuter des rapports compliqués de Robespierre avec la guerre, surtout quand elle est de conquête. N’empêche qu’il l’a fit, et de quelle façon ! O mânes de Saint Just !

Au delà, cette tradition robespierriste est d’abord celle du salut public. Face à l’ennemi, fut-il celui de l’intérieur, elle revendique l’urgence et la résistance, l’union et la suspension provisoire des libertés individuelles. On en connaît les déclinaisons pratiques : un gouvernement de combat, une Assemblée marginalisée, une constitution mise entre parenthèse dans une hyper-centralisation des pouvoirs civils et militaires. Le salut public – faut-il le rappeler ? – ce fut aussi la déchéance de nationalité pour tous ceux qu’on soupçonnait de pactiser avec l’étranger. La révolution de Robespierre, chère à Jean-Luc Mélenchon, c’est donc une logique d’exception où la frontière désigne l’ennemi et ses complices et où la défense nationale, dans le cadre de la République, prime sur toutes autres considérations.

Au delà, cette tradition robespierriste est d’abord celle du salut public. Face à l’ennemi, fut-il celui de l’intérieur, elle revendique l’urgence et la résistance, l’union et la suspension provisoire des libertés individuelles. On en connaît les déclinaisons pratiques : un gouvernement de combat, une Assemblée marginalisée, une constitution mise entre parenthèse dans une hyper-centralisation des pouvoirs civils et militaires. Le salut public – faut-il le rappeler ? – ce fut aussi la déchéance de nationalité pour tous ceux qu’on soupçonnait de pactiser avec l’étranger. La révolution de Robespierre, chère à Jean-Luc Mélenchon, c’est donc une logique d’exception où la frontière désigne l’ennemi et ses complices et où la défense nationale, dans le cadre de la République, prime sur toutes autres considérations.

Il ne s’agit pas ici de comparer ce qui ne n’est pas comparable. La France de 2015, fort heureusement, n’est pas celle de 1793. Mais comment ne pas voir que dans les gènes du mélenchonisme, il y avait toutes les références nécessaires pour justifier l’acceptation raisonnée d’un état d’urgence dicté par les attentats du 13 novembre ? Pour le contester malgré tout, le leader du Parti de gauche dont on sait combien il est attaché à l’Histoire et aux principes qui le guident n’avait, dans sa besace idéologique, que deux options possibles : soit invoquer la défense intransigeante des droits de l’homme, soit se draper dans un internationalisme revisité.

Or précisément, dans le cas qui nous occupe, ces références étaient nécessairement bancales dés lors que la guerre contre Daesh réactivait le discours du salut public sans qu’aucunes solidarités pratiques soient envisageables avec un ennemi qui attentait aux libertés républicaines, à la laïcité républicaine et donc, au final, à la République elle même. Pour pousser le raisonnement jusqu’au bout, on peut même dire que cet état d’urgence, calé sur un mouvement diplomatique réintégrant Moscou dans une coalition digne de ce nom, pouvait réunifier dans un même élan toutes les composantes d’un mélenchonisme soudain rendu à ses vérités profondes. C’est pourtant ce que l’intéressé a choisi d’éviter.

Résumons-nous. D’un côté, Cécile Duflot a fait une concession majeure à l’esprit de l’union nationale. De l’autre Jean-Luc Mélenchon a fait une entorse aux principes censés guider son action. On pourra toujours dire que ces deux là n’arriveront jamais à s’entendre. Quand ils bougent, c’est pour mieux se croiser. Quand ils s’adaptent, c’est pour mieux s’opposer. Tout était pourtant réuni pour qu’ils puissent se retrouver autour d’une position commune sur une question dont on reconnaîtra qu’elle n’était pas secondaire. Lorsqu’il s’agira de réviser la Constitution, comme l’a proposé François Hollande, il est d’ailleurs probable qu’ils se retrouveront, le temps d’un vote, autour d’une même ligne critique. Mais ça n’explique toujours pas pourquoi, à chaud, la chef de file des écolos s’est montré moins libertaire que prévu et le leader du Parti de gauche, au sens vrai du terme, plus libéral qu’attendu.

Résumons-nous. D’un côté, Cécile Duflot a fait une concession majeure à l’esprit de l’union nationale. De l’autre Jean-Luc Mélenchon a fait une entorse aux principes censés guider son action. On pourra toujours dire que ces deux là n’arriveront jamais à s’entendre. Quand ils bougent, c’est pour mieux se croiser. Quand ils s’adaptent, c’est pour mieux s’opposer. Tout était pourtant réuni pour qu’ils puissent se retrouver autour d’une position commune sur une question dont on reconnaîtra qu’elle n’était pas secondaire. Lorsqu’il s’agira de réviser la Constitution, comme l’a proposé François Hollande, il est d’ailleurs probable qu’ils se retrouveront, le temps d’un vote, autour d’une même ligne critique. Mais ça n’explique toujours pas pourquoi, à chaud, la chef de file des écolos s’est montré moins libertaire que prévu et le leader du Parti de gauche, au sens vrai du terme, plus libéral qu’attendu.

Même si on estime qu’ils sont tous les deux animés par un opportunisme foncier, on ne voit pas très bien l’intérêt qu’ils auraient eu à bousculer ainsi, dans une occasion aussi grave, les fondamentaux de leurs traditions respectives tout en semant, s’agissant de Cécile Duflot, le trouble dans son propre parti. Ces considérations internes ont sans doute pesé à l’heure de l’arbitrage mais, là encore, on aurait pu s’attendre à ce qu’elles interviennent dans le sens d’une parfaite fidélité aux principes qui sont censés guider leurs pas.

Sans doute la question des libertés publiques est-elle suffisamment prégnante pour qu’en toutes circonstances, a fortiori quand celles-ci sont attaquées, se réactive l’éternel débat du droit et de son efficacité en période de guerre ou, tout au moins d’agression caractérisée. D’autres que Cécile Duflot et Jean-Luc Mélenchon y ont été confrontés, ces derniers temps, aussi bien à gauche qu’à droite. L’hésitation qui précède l’arbitrage et le choix n’a rien de bien scandaleux chez quiconque entend exercer son esprit critique. Cela vaut aussi bien pour les acteurs politiques que pour les commentateurs de la presse et, au delà, pour les simples citoyens attachés aux principes de la démocratie.

Ce que révèle le pas de deux entre la chef de file des écolos et le leader du Parti de gauche est au fond d’une autre nature qui n’est pas moins intéressante lorsqu’on entend analyser les ressorts de ce qu’on appellera, pour aller vite, la gauche de la gauche. Face à l’état d’urgence, celle-ci ne s’est pas posée la seule question de sa légitimité. Elle s’est interrogée sur son opportunité et, partant, sur son efficacité supposée. Enfin, elle s’est naturellement posée la question de la confiance qu’elle pouvait accorder à ceux qui en faisaient la demande. Toutes choses, une fois encore, qui n’a rien d’indécent.

Or, au bout de ce questionnement, on voit bien aujourd’hui que cette confiance-là, Cécile Duflot ne la refuse plus à François Hollande et au gouvernement de Manuel Valls tandis que Jean-Luc Mélenchon continue à camper, quoi qu’il arrive, sur une ligne d’opposition radicale au pouvoir en place. Lors du vote de l’état d’urgence, la première a préféré aménager ses principes, tout en bousculant ses plus fidèles soutiens, plutôt que de persévérer dans une attitude qui l’aurait définitivement entraînée dans une impasse stratégique. Quant au patron de Front de gauche, il a montré que pour demeurer, en toutes circonstances, l’anti-Hollande absolu, il entendait, fut-ce d’une main tremblante, faire prévaloir, sur toutes autres considérations, l’évidence d’un refus sans nuances ni frontières. En cela, Cécile Duflot et Jean-Luc Mélenchon ont fait tous les deux, comme c’est normal, de la vraie politique. Ils ont choisi en conscience, à leurs risques et périls, sur des voies pour longtemps divergentes.

Cet article a été publié le 25 novembre 2015 sur Challenges.fr