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Mélenchon face à son miroir grec

Mélenchon face à son miroir grec

La gauche de la gauche, en France, salue la victoire de Syriza à grands coups de superlatifs. Aujourd’hui Athènes, demain Madrid ou Paris … C’est l’habituelle théorie des dominos. Mêmes causes, mêmes effets. Dès lors que l’exemple est donné, que l’inimaginable devient soudain réalité, la logique de la politique et des peuples ne peut que reprendre ses droits. Le raisonnement est un peu rustique, ce qui ne veut pas dire qu’il est forcément faux. Il pose toutefois un petit problème aux émules français d’Alexis Tsipras.

Si on estime que l’austérité imposée par Bruxelles est la cause de tous les maux grecs et le carburant essentiel du vote pour Syriza, comment expliquer qu’un mouvement comparable ne se soit pas installé au cœur du paysage hexagonal? On peut à ce sujet pointer l’éparpillement des forces, au sein de la gauche de la gauche, même si d’indéniables progrès ont été faits sur ce terrain depuis une dizaine d’années. On peut aussi estimer que ses leaders ont une culture et un pedigree un tantinet rétro pour un courant censé incarner le mouvement, la jeunesse et le renouvellement. Jean Luc Mélenchon est un vieux de la vieille, issu des rangs lambertistes, devenu mitterrandiste de stricte obédience avant de passer près de vingt ans sous les ors du Sénat. Pierre Laurent est né et a prospéré au sein du PC, le parti le plus vermoulu du cheptel national. Cécile Duflot a accompagné, sans rechigner à l’excès, les deux premières années du quinquennat hollandais. Sans vouloir mettre en doute leur sincérité, tous ont un léger problème de crédibilité que l’opinion perçoit à l’évidence quand ils brodent à l’unisson sur le thème du grand chambardement.

Mais l’essentiel est ailleurs. La gauche de la gauche française piétine parce qu’elle dénonce quelque chose qui n’existe pas. Si les mots ont encore un sens, il faut bien reconnaître que, depuis 2012, François Hollande ne pratique pas une politique d’austérité. Jamais il n’a même envisagé de faire subir à ses concitoyens une purge comparable à celle qui a été administrée aux Grecs, aux Espagnols et même aux Portugais. Face à Bruxelles, le président de la République, comme toujours, a rusé. Dans la gestion des déficits, il a davantage maquillé que tranché dans le vif. Dans la réforme du marché du travail, il a avancé à petits pas. Il s’est bien gardé, enfin, d’affronter frontalement ces gros bataillons de la fonction publique où ses contempteurs de gauche, soit dit en passant, puisent l’essentiel de leurs troupes.

Le rendez-vous manqué de Hollande avec Mélenchon et consorts est, du même coup, d’une nature assez farce. Le président, durant la campagne qui l’a fait élire, a promis de réduire le déficit des comptes publics à 3% en deux ans avant de le réduire à zéro, à la fin de son mandat. Dans le discours, il a donc devancé les attentes bruxelloises mais ses engagements, on le sait bien, n’ont pas été tenus, loin s’en faut. Pourtant, ceux qui, à gauche, passent leur temps à dénoncer les reniements hollandais, voudraient faire croire, coûte que coûte, que cette promesse-là a bien été respectée. Pauvre Hollande, coupable quoi qu’il fasse, aussi bien quand il est fidèle que lorsqu’il ne l’est pas!

Face à cette réalité, la gauche de la gauche a toutes les peines du monde à trouver le bon angle. Un jour, elle dénonce des tournants qui ne sont que des inflexions. Le lendemain, elle décrit une austérité qui n’est que de façade. Du coup elle perd toute crédibilité en chargeant la mule plus que nécessaire alors même que la situation du pays – chômage, croissance, inégalités – devrait suffire à alimenter les réquisitoires dont elle est coutumière. Hollande, pour le dire en un mot, n’est pas Papandréou et encore moins Samaras. Il reste pour le cœur de son électorat, celui qui limite les dégâts et s’il a autant déçu, c’est moins pour ce qu’il a fait que pour ce qu’il n’a pas su faire, notamment sur le front de l’emploi.

Cela, Mélenchon et ses camarades de tous poils ne veulent pas l’admettre. Ils croient aux modèles mais par réflexes propagandistes ou par manque de rigueur intellectuelle, ils comparent ce qui ne peut l’être et perdent, du même coup, toute possibilité de comprendre ce qui les marginalise ou les freine. Pour sortir de cette contradiction, passé le temps des célébrations grecques, ils n’envisagent en fait qu’une seule méthode : faire battre Hollande, le moment venu, afin de dégager le terrain. C’est classique dans cette famille de pensée. C’est encore indicible dans un contexte où le danger lepéniste est chaque jour plus prégnant. C’est pourtant ce vers quoi tout ce petit monde se dirige, sans complexes.