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Macron et Le Pen : front contre front, main dans la main.

Macron et Le Pen : front contre front, main dans la main.

Lorsqu’il s’est mis en marche, Emmanuel Macron a dit qu’il ne croyait plus à la validité du clivage entre la gauche et la droite. Lorsqu’il est entré en campagne, il a expliqué que les anciens partis de gouvernement étaient plein de trop de contradictions pour survivre à une compétition qui serait celle de la recomposition de la démocratie française. Depuis qu’il est sorti en tête du 1er tour de la présidentielle, il pousse cette logique jusqu’au bout en prenant acte, sans en être autrement marri, de l’obsolescence d’une des règles de base du combat républicain, c’est-à-dire le front du même nom.

Il est farce qu’il en ait fait le constat explicite, samedi dernier, dans les colonnes d’un journal – Le Figaro, pour ne pas le nommer – qui, avec un peu de retard à l’allumage, tente d’expliquer à ses lecteurs que ce front est le dernier barrage contre l’extrémisme lepéniste. Pour Emmanuel Macron, rien ne sert de vouloir reconstruire des murailles qui sont déjà tombées. Ce qui s’est passé autour de Jacques Chirac, en 2002, appartient à un monde qu’on ne reverra plus. Il aurait pu expliquer que la faute de l’ancien Président avait été, à l’époque, de ne pas tenir compte, une fois réélu, du très large rassemblement (82%) qui s’était constitué autour de sa candidature. Il préfère faire le constat clinique d’un changement de paradigme dans le mode de fonctionnement de la vie politique française. Bref, il admet de lui-même que le rapport de force 60/40 entre Marine Le Pen et lui, tel qu’il ressort des sondages, est l’expression d’une réalité qui n’a rien d’accidentelle.

Emmanuel Macron, ce faisant, dit-il autre chose qu’une vérité d’évidence ? Depuis le 23 avril, il est clair en effet que le front républicain a vécu dans sa version traditionnelle. Au soir de leur déroute, les grands vaincus du 1er tour – Benoit Hamon et surtout François Fillon – sans doute ont-ils appelé illico à voter pour le candidat d’En Marche sans craindre de prononcer son nom. Mais combien, derrière eux, à gauche comme à droite, ont eu depuis «des pudeurs de gazelle» comme dirait Jean-Luc Mélenchon, lorsqu’il leur a fallu prendre leurs responsabilités ?

Chez les Républicains, la bataille a été rude avant que soit indiqué, par simple communiqué, la consigne de «faire battre Marine Le Pen». Au PS, Martine Aubry s’y est repris à deux fois pour dire explicitement qu’elle voterait bien pour Emmanuel Macron. Les mêmes enfin qui, dans les rangs de la gauche radicale, battaient le pavé en 2002 contre «le fascisme» et ses représentants, défilent aujourd’hui en renvoyant dos à dos «l’extrême droite» et «l’extrême finance». Leur «vigilance» n’est plus ce qu’elle était.

L’Histoire qui, il est vrai, en a vu d’autres, retiendra que pour ceux-là, il était donc plus facile de se ranger derrière Jacques Chirac qu’ils avaient pourtant qualifié de «super-menteur», adepte d’une ligne «ultrasécuritaire», que de soutenir Emmanuel Macron, ancien ministre d’un gouvernement rose pâle, devenu le héraut d’un néo-centrisme aux couleurs de l’Europe. De même, de futurs chroniqueurs noteront-ils avec étonnement que la résistance face au populisme d’extrême-droite avait été bien plus forte, en 2002, alors la menace était faible, que lorsque celle-ci est devenue pressante, quinze ans plus tard.

De l’eau, entre temps, a coulé sous les ponts de la République. Comment ne pas le voir ? Des réflexes que l’on disait ancrés dans l’imaginaire national se sont progressivement affaissés. Au point de disparaitre ? Telle est la vraie question. Faut-il en effet rappeler qu’il y a de cela un an et demi, à l’occasion des élections régionales, un front républicain de la plus belle eau s’est constitué contre le FN et que les électeurs y avaient alors adhéré en masse ? Or c’est précisément ce qu’Emmanuel Macron ne veut pas retenir lorsqu’il confie au Figaro qu’une page de l’histoire politique française est en train de se tourner et qu’il est l’acteur principal d’un grand reclassement auquel il ne voit d’ailleurs pas que des désagréments.

Quand il fait le constat de la mort du front républicain à l’ancienne, Emmanuel Macron n’exprime pas simplement une forme de résignation navrée. Bien sûr aurait-il préféré que le rassemblement autour de sa personne soit plus complet et qu’au final, sa victoire soit plus large qu’annoncée. Sinon, pourquoi dénoncerait-il aussi haut «la trahison» de Jean-Luc Mélenchon et le comportement «honteux» de Nicolas Dupont-Aignan ? Mais derrière les mots obligés d’une fin de campagne sans véritable grandeur, il y en a d’autres qui, eux, dessinent le nouveau paysage du quinquennat à venir et qui, au fond, sont bien plus importants.

«Je suis un métèque de la vie politique», dit Emmanuel Macron. Il aurait pu bien reprendre en son compte une ancienne formule de Nicolas Sarkozy en se présentant comme un responsable politique «de sang mêlé». À partir de là, on comprend mieux qu’il ne verse aucune larme sur un front républicain dont l’inconvénient à ses yeux est d’être une courte parenthèse dans un système inchangé. Parce qu’elle est une formule purement défensive, cette coalition d’un instant est, par nature, essentiellement conservatrice. Tous les chats y sont gris. Comment d’ailleurs le lui reprocher puisque telle est sa fonction ? Or le projet d’Emmanuel Macron n’est visiblement pas celui-là. Il vise au grand remplacement et au grand reclassement à la fois. Le FN, du coup, n’y est pas un simple repoussoir mais le pôle antagoniste d’une nouvelle bipolarisation avec d’un côté les nationaux-conservateurs dans toutes leurs nuances et de l’autre l’ensemble des progressistes, sociaux libéraux et européens.

Dans ce nouveau schéma qui oppose France fermée et France ouverte, on ne voit pas très bien la place réservée à cette gauche radicale à laquelle Jean-Luc Mélenchon et ses Insoumis viennent d’offrir un drapeau flambant neuf. C’est la principale faiblesse du raisonnement macronien. Mais au-delà, comment ne pas voir qu’il rejoint, à sa façon, le projet néo-lepéniste de la championne du FN ? À sa façon, Emmanuel Macron dédiabolise Marine Le Pen. Il l’installe dans le rôle auquel elle a toujours aspiré, c’est-à-dire celui de leader d’un rassemblement national ouvert aux débris d’une droite décomplexée. Ou, pour le dire autrement, il fait d’elle la complice d’une clarification partisane et idéologique dont la vertu supposée est de correspondre aux clivages réels de la société française.

C’est ce qui donne un tour aussi étrange aux débats de l’entre-deux-tours d’une présidentielle d’un cru exceptionnel, au sens littéral du terme. Les deux candidats, pour une fois, sont entièrement d’accord sur ce qui les opposent sur le fond. Mieux, ils font de leur affrontement assumé le cadre prévisible de ce que pourrait être, demain, la nouvelle France politique. Car après la présidentielle, viendront les législatives et c’est à ce moment-là, que la recomposition qui aujourd’hui s’esquisse trouvera son expression définitive. C’est en tous cas, l’ambition véritable d’Emmanuel Macron et qu’il exprime d’ailleurs en vidant de son sens, l’ancienne notion de «majorité présidentielle». Celle-ci, à l’entendre, ne comprendra pas l’ensemble de ses soutiens avant le 7 mai mais uniquement ceux qui auront clairement adhéré à son projet global. Nuance…

Là encore, on voit bien l’intention qui est de faire des élections législatives, lors du tour décisif, un remake parfait de ce qu’aura été le second tour de la présidentielle, c’est-à-dire un affrontement direct et pur entre les candidats d’En Marche d’un côté et du FN de l’autre. Sur cette base, en effet, la perspective d’une majorité absolue macronienne dans la future Assemblée nationale devient alors envisageable. C’est curieusement, ce que ne semblent ne pas voir nombre des dirigeants des anciens partis de gouvernement, à droite plus particulièrement, lorsqu’ils chipotent aujourd’hui leur soutien à Emmanuel Macron alors que son élection à la présidence de la République est désormais assurée. Plus Marine Le Pen sera haute, le 7 mai, et moins leurs chances seront fortes de conserver un rôle autre que marginal dans le système politique français. Plus le FN s’imposera comme l’alternative véritable au macronisme présidentiel et moins ils seront crédibles comme acteurs virtuels d’une nouvelle cohabitation ou d’une coalition inédite sous la Cinquième République.

On peut tout reprocher à Emmanuel Macron mais dans la partie qui se joue depuis quelques jours, il faut bien reconnaitre que sa cohérence est entière là où tant d’autres, que l’on dit plus capés ou moins immatures, font preuve d’une inconséquence confondante. Dans la défense un brin barbare de ses propres intérêts, dans la perception des futures lignes de force du grand jeu politique, il prend son risque comme le font d’ailleurs, dans leur registre propre, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, preuve que ceux-là aussi sont encore vivants. Si cela suppose de faire tomber sans complexe des règles, des procédures ou même de réflexes chers à la tradition républicaine, le candidat d’En Marche n’hésite pas. Bref, il assume. À l’heure des comptes, quand tout sera fini, on pourra peut-être dire que tout cela était folie. Mais personne ne pourra prétendre que, dans l’art de la conquête, il aura joué petit bras.

La première version de cet article a été publiée le 30 avril 2017 sur Challenges.fr