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Macron, disciple de Pilhan ?

Macron, disciple de Pilhan ?

Depuis son élection Emmanuel Macron a parfaitement maitrisé ses prises de parole, les réduisant au strict minimum. S’agit-il d’une rupture avec l’hyperprésidence de Nicolas Sarkozy at avec François Hollande, peu avare de confidences avec les journalistes ?

François Hollande manifestait une forme de résistance à l’égard de l’exercice de la communication qu’il jugeait futile, manipulatoire ou, pis encore à ses yeux, attentatoire à sa propre liberté. Emmanuel Macron, à l’évidence, n’appartient pas à cette école. Comme Nicolas Sarkozy, il est un enfant de la télé. Il a grandi à l’heure des réseaux sociaux et des chaines d’info en continue. Bref, il communique comme il respire. Ce qui est intéressant avec Emmanuel Macron, c’est aussi qu’il renoue avec une communication élyséenne qui est, au fond, assez traditionnelle avec une attention particulière à des questions telles que celles de la verticalité ou du positionnement symbolique. Qu’est qu’un chef – de l’État en l’occurrence ? Il est peu tôt pour savoir si la réponse d’Emmanuel Macron est la bonne mais au moins avec lui la question est-elle posée.

Dans la phase actuelle qui est celle de l’installation, le Président se prétend «jupitérien». Jacques Pilhan qui utilisait volontiers cette expression disait plus prosaïquement que «le chef, c’est celui qui a du poil aux pattes». Parce que, du fait de sa jeunesse, il a pu donner l’impression de ne pas en avoir au menton, Emmanuel Macron en fait des tonnes sur ce registre. A juste titre, me semble-t-il. Il est dans cette période bénie des dieux où l’auto affirmation précède encore l’action. Aujourd’hui, c’est l’Élysée qui fait l’offre, qui dicte son agenda. Bientôt, il lui faudra inévitablement répondre à l’imprévu, à l’accidentel, bref au commun de l’action publique. C’est à ce moment-là qu’on pourra vraiment juger de la cohérence et de la solidité de la communication macronienne.

Cela ne signifie pas qu’en terme de com’, l’entrée en scène du nouveau Président ait été sans importance. Loin de là ! Cet exercice a été bien maitrisé, ce qui prouve qu’il avait été réfléchi en amont. Reconnaissons toutefois qu’il n’était pas le plus compliqué. Emmanuel Macron, vous l’aurez remarqué, est assez avare de sa parole publique. Il parle le langage des signes et laisse le système médiatique en faire le décryptage avec une très grande bienveillance. Si le nouveau Président remonte les Champs-Elysées dans un véhicule militaire, c’est, dit-on, qu’il porte le régalien en sautoir. S’il repousse de quelles heures la nomination de son Premier ministre puis de son gouvernement, c’est qu’il est «le maitre des horloges». Si avant cela, au soir de son élection, il remonte à pied la cour du Louvre, c’est qu’il est l’héritier naturel des monarques d’autrefois, à commencer par François Mitterrand. J’en passe et des meilleurs. Tout cela ne durera pas. Le commentaire médiatique est volage par nature. En même temps, pourquoi l’Élysée ne profiterait-il pas de ce petit état de grâce pour prendre son avantage ? Il en aura besoin pour la suite qui s’annonce d’un autre tonneau.

Les quinquennats de Sarkozy puis de Hollande avaient transformé le Président en super Premier ministre. Assiste-t-on à un retour à l’esprit de la Cinquième République ?

En ce domaine, plus qu’en tout autre, mieux vaut juger aux actes, sur la durée. François Hollande lui aussi voulait, en arrivant, rompre avec l’hyper-présidence sarkozyste. Il jurait que son Premier ministre en serait pas son collaborateur. Et puis, dès la fin de l’été 2012, il a jugé que Jean-Marc Ayrault ne le protégeait pas suffisamment et il s’est donc porté en première ligne avec notamment la promesse faite sur TF1 de l’inversion en un an de la courbe du chômage. La manière dont Emmanuel Macron a voulu imposer à Édouard Philippe le nom de son directeur de cabinet est le signe que dans ses relations avec Matignon, il hésite entre deux lignes. Peut-on être un Président jupitérien sans être conduit, fut-ce à son corps défendant, à se mêler de tout puisque, dans la période actuelle, rien ne saurait être accessoire ? La future loi Travail, dans le schéma institutionnel affiché par Emmanuel Macron, devrait être l’affaire de Matignon. N’empêche que les négociations avec les partenaires sociaux ont commencé à l’Élysée, dans le bureau du Président. Symboliquement, on a rarement fait mieux. Est-ce un positionnement lié à la période ou une manière d’agir consubstantielle au macronisme ? Là encore, attendons pour trancher.

Vous avez écrit un livre, Le Sorcier de l’Élysée consacré à Jacques Pilhan qui fut le conseiller en communication de François Mitterrand et Jacques Chirac. Y-a-t-il du Pilhan dans la communication de Macron ?

Une précision tout d’abord. Jacques Pilhan est mort, il y a de cela près de vingt ans. Il élaborait la ligne de communication des Présidents – François Mitterrand puis Jacques Chirac en l’occurrence – à une époque où le système médiatique ne connaissait pas les réseaux sociaux et où la télé, via trois chaines, était essentiellement publique. Il considérait enfin qu’après chaque acte de communication, il fallait «briser les moules» pour ne pas reproduire à l’identique ce qui avait pu marcher jusque-là. Bref, Pilhan, ça n’est pas un livre de recettes dans lequel il suffirait de piocher à sa guise. Ajoutons à cela que la théorie de la rareté dont on le crédite souvent, est en fait une théorie de l’arythmie. Si vous parlez comme tout le monde et en même temps que tout le monde, votre parole a peu de chance d’être entendue. Or pour être entendue, il faut surtout que cette parole soit attendue. C’est là une loi du désir qui demeure essentielle. Toute la question est de savoir comment ce désir peut être concrètement alimenté pour demeurer intacte.

Dans la phase actuelle, c’est assez simple. Emmanuel Macron est un produit neuf que chacun a envie de découvrir. Le mystère qui l’entoure pour quelques temps encore lui permet une expression fondée, en effet, sur la rareté ou la parcimonie. On voit le Président agir et l’image de son action suffit pour faire passer le message dans une séquence très particulière qui est celle des premiers pas. Mais, pour revenir à Pilhan, la communication présidentielle, c’est aussi une ligne – j’allais dire un style ou même une esthétique – qui doit être conservée et entretenue sur la durée quelque soient les aléas de la vie politique. Pour le dire autrement, il arrivera nécessairement un jour où Emmanuel Macron marchera sur une mine et c’est à ce moment-là qu’on pourra voir si sa ligne de com’ a la solidité qu’il prétend. Jupiter lance la foudre. Mais comment réagit-il lorsque la foudre tombe sur son Olympe ?

Pilhan était l’inventeur du plan média. Emanuel Macron entend choisir les journalistes qui l’accompagneront dans ses déplacements. Là encore, s’inscrit-il dans la logique de Pilhan ?

Emmanuel Macron se pose en s’opposant. D’autre l’avaient fait avant lui. Nicolas Sarkozy voulait rompre avec le long règne de Jacques Chirac. Il opposait son énergie à l’épuisement d’un roi devenu fainéant et claquemuré dans son palais. François Hollande, lui, voulait revenir à une forme de normalité qui est vite devenue une manière de banalité. S’agissant des journalistes et plus généralement de ses relations avec la presse, François Hollande avait son portable ouvert en permanence. Il ne faisait pas le tri. Il répondait aux questions qu’on voulait bien lui poser. On a vu le résultat : un livre assassin titré, à juste titre, «Un président ne devrait pas dire ça». Emmanuel Macron a visiblement l’intention de contrôler davantage son expression publique. Il l’a dit durant la campagne. Il n’entend pas être «le copain des journalistes». Sans vouloir lui faire de procès d’intention, il donne surtout le sentiment de ne pas vouloir être «le copain» de toute la profession. Ce qui est un peu différent… D’où une volonté de sélection qui s’est exprimé notamment dans l’organisation des voyages officiels. On a vu que cela n’avait pas marché. Mais, en l’espèce, ce qui compte n’est pas le résultat mais l’intention. Parce qu’il croit à la communication, à la différence de son prédécesseur, Emmanuel Macron entend maitriser cet exercice particulier. Celui-ci suppose une part de contrôle. Il est normal que Président veuille rester, autant que faire se peut, le maitre du message qu’il adresse à l’opinion. Il l’est moins qu’il veuille mettre sous tutelle ceux qui le relaient, l’expliquent et, au besoin le contestent. C’est toujours le même problème avec les communicants en général et avec les responsables politiques qui se présentent comme tel : tous portent en eux une tentation potentiellement autoritaire. La com’ n’a jamais été un exercice démocratique.

Cette interview a été initialement publiée le 28 mai 2017 sur Figaro Vox