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Le président, son chapeau et le petit lapin

Le président, son chapeau et le petit lapin

Que veut changer François Hollande après les élections départementales  ? Rien. Que peut-il changer si jamais la situation l’y contraint ? Apparemment, pas grand chose. S’il n’y tenait qu’à lui, le président de la République expliquerait, comme tant d’autres avant lui, que le scrutin des 22 et 29 mars est de nature locale, marqué de surcroît par une forte abstention et donc, à ce double titre, peu lisible par ceux qui ont en charge la conduite du pays. Il ne le fera pas ou, tout au moins, pas aussi brutalement afin de ne pas conforter l’image d’un pouvoir à la fois autiste et sourd. Reste que François Hollande a déjà annoncé l’essentiel, la semaine dernière, dans son entretien avec Challenges. Ni changement de ligne, ni changement de Premier ministre. C’est gentiment dit, avec une petite pointe d’autosatisfaction sur le thème du courage intact. Mais en filigrane, le message semble clair : circulez, il n’y a rien à voir !

Est-ce tenable ? Oui, si le FN n’est pas encore plus haut que prévu et si l’UMP ne rafle pas une mise record, au second tour. Ou, pour le dire autrement, si le bilan du 22 mars n’est pas l’élimination de la gauche dans près de 1000 cantons et si le PS, au lendemain du 29 mars, conserve au moins vingt départements sur la soixantaine qu’il détient actuellement. Le pessimisme actif dont font preuve les responsables socialistes, en cette fin de campagne, n’a pas d’autre objectif que de sonner le tocsin chez les abstentionnistes et d’expliquer, plus tard, que le résultat des départementales est moins pire que prévu. Pour autant, François Hollande sait d’expérience qu’un choc électoral, même quand il n’est pas aussi rude qu’on pouvait le craindre, reste une épreuve douloureuse. Entre ce qu’on a prévu et ce qu’on encaisse, il y a une sacrée différence. En politique, les lignes ne changent guère durant la campagne. C’est au soir des élections que les plaques commencent à bouger.

Or, à l’évidence, elles vont bouger d’une manière ou d’une autre. Comment la gauche va-t-elle encaisser la facture de ses divisions ? Comment la droite va-t-elle gérer la concurrence du FN ? Comment le FN va-t-il sortir de son traditionnel isolement  et surtout avec quel butin ? C’est à partir de tout cela que François Hollande va devoir peaufiner son discours et son action. Pour le moment, il s’est préparé en dotant son dispositif de quelques amortisseurs. Le remaniement annoncé est une manière d’anticipation a minima. Pour donner le sentiment de ne pas être inerte, le président prend les devants. Il met lui-même sur la table un mouvement gouvernemental dont il pourra toujours dire, demain, qu’il l’a toujours souhaité et qu’il n’est donc pas une réponse pétocharde à une situation d’urgence absolue. Nul besoin d’être un cador de la politique pour comprendre le message qui déjà se dessine  : le président rassemble, le président est ouvert, le président reste la maître des élégances. Je nomme donc je suis. Rien que du classique.

Et c’est bien là le problème. Peut-on répondre à un séisme en se contentant de rajouter aux digues quelques sacs de sable ? Si demain un aubryste, tel Jean Marc Germain, devient ministre des Travaux public et si une écologiste, telle Barbara Pompili, hérite des voies navigables ou autre colifichet, qui pourra prétendre que le message des Français a bien été entendu ? Ce genre d’opération peut sans doute passionner, le temps d’un après-midi, les chaînes d’info en continu. Elle peut stabiliser – et encore… – le dispositif majoritaire et éviter que le congrès PS de juin ne devienne une pétaudière. Elle peut même, à la rigueur, préfigurer ce que sera la ligne hollandaise pour la présidentielle de 2017. On voit mal en revanche ce qu’elle pourrait modifier en profondeur dans une opinion dont on ne cesse de dire l’indifférence à l’égard des jeux politiques traditionnels.

Le risque pour François Hollande est qu’une réponse de ce type ne fasse qu’accentuer la fracture qu’il prétend vouloir réduire. Admettons qu’il soit resté le prestidigitateur que l’ont dit. Pour réussir son tour, encore faudrait-il qu’il ait un chapeau et un lapin. Aujourd’hui, on voit bien le chapeau mais on cherche encore le lapin. Quand bien même le président en trouverait-il un, qui peut croire un seul instant que cela suscite l’enthousiasme chez des citoyens blasés? Dans le contexte actuel, il est même possible que pareil spectacle soit perçu comme une manière de provocation. Ce qui renvoie du même coup à ce qui est, sans doute, l’intention première de François Hollande, c’est à dire d’en faire le moins possible pour ne pas bousculer davantage un système politique ô combien vermoulu.

«Guerre impossible, paix improbable», disait autrefois Raymond Aron en observant le paysage international dominé par la logique des blocs. Le président de la République est aujourd’hui dans une situation comparable. Trop faible pour bouger, trop affaibli pour rester l’arme au pied. Non pas en équilibre, mais proche du seuil de rupture. Certes, les institutions le protègent encore. Son pari est que cette protection lui permet d’attendre qu’une reprise économique vienne progressivement desserrer l’étau avec les effets tant de fois annoncés sur ce front du chômage qui juge décisif. Cette ligne est d’un hollandisme achevé. C’est celle du plus tard, de la chance et d’un sang froid assaisonné d’humour. Y-en-a-t-il une autre en magasin ?

François Hollande, on le sait désormais, ne change que sous contrainte absolue. Là est en fait le véritable enjeu des élections départementales. Vont-elles ou non placer le président dans une situation où il fera l’analyse, bon gré mal gré, qu’il ne pourra s’en sortir qu’en renversant la table? Il n’a pas voulu le faire au lendemain du 11 janvier et il a laissé, du même coup, se refermer cette parenthèse dont beaucoup, de Nicolas Sarkozy aux frondeurs, craignaient qu’elle ne trouble leurs petites habitudes. Le scrutin des 22 et 29 mars s’annonce tel qu’il sera sans doute compris comme un 11 janvier inversé. En même temps, il peut être un choc d’ampleur comparable appelant une réponse qui ne soit pas celle du rafistolage mais de la recomposition bien au delà des cercles gouvernementaux. Le rassemblement républicain est la seule carte que le président ait en propre, au fond de sa poche. C’est son dernier privilège. Celui qu’il ne peut actionner qu’en urgence, lorsque l’essentiel est en jeu. On appelle ça le salut public.

En est-on là? Ou plutôt les Français auront-ils le sentiment qu’on est est là au lendemain des départementales ? Pour cela, il faudrait qu’au fracassement d’une gauche éclatée réponde l’implosion d’une droite incapable de rester unie face à la pression du Front national. Ce scénario là n’est pas le plus probable. C’est celui d’un retour beaucoup plus rapide qu’on ne le croyait à une bipolarisation entre républicains de toutes obédiences et un FN ayant réussi son pari de faire éclater la droite classique. La logique voudrait, en fait, qu’il faille attendre le second tour de la présentielle pour en arriver là, autour d’un président autre que François Hollande. Mais il arrive parfois en politique que les basculements attendus arrivent plus tôt que prévu et sous une forme inédite.

Les monarques de la Cinquième, surtout quand ils sont en mal de réélection, ont longtemps pensé qu’ils n’avaient que deux moyens de rebattre les cartes. Soit la dissolution suivie, au pis, d’une phase de cohabitation. Soit une campagne présidentielle aux accents suffisamment rassembleurs, genre France Unie en 1988, pour laisser entrevoir un paysage politique remanié, en phase avec les attentes de l’opinion. Les départementales de 2015 ont ceci d’exceptionnel qu’elles peuvent avoir le caractère d’une dissolution – du système partisan, en l’occurrence – et l’impact détonnant d’un scrutin national. Face à cette situation potentiellement inédite, on peut donc comprendre que François Hollande évite de retourner son jeu prématurément mais à la seule condition que cette prudence soit celle du chasseur qui attend son heure et non du gibier qui cherche un abri.