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Le jour où Sarkozy n’a pas osé mettre son mandat en jeu

Le jour où Sarkozy n’a pas osé mettre son mandat en jeu

La recherche d’une position de synthèse ou de compromis lorsqu’on est confronté à une question stratégique majeure est pour tout responsable politique digne de ce nom une faute politique dont on se remet difficilement. Nicolas Sarkozy vient d’en faire la démonstration. Dans l’affaire dite du Doubs, il était clair, dès le soir du 1er tour, que le président de l’UMP ne s’était pas préparé à l’élimination de son candidat et que le travail nécessaire pour faire comprendre et accepter la ligne de conduite de son parti dans cette situation très particulière n’avait pas été conduit, en amont. C’est donc dans l’urgence que Nicolas Sarkozy a dû enfiler son habit de chef de parti. Et c’est sans se presser outre mesure qu’il a renvoyé à 48 heures la décision de l’UMP en vue du second tour. Non pas tant en raison d’une riche conférence arabique destinée à arrondir ses fins de mois. Mais parce que dès l’origine, il avait imaginé que dans ce genre d’affaire, il y avait une solution autre que celle de la clarté, celle qui suppose, du même coup, la prise de risque et la rapidité d’exécution.

Aujourd’hui, personne ne sait vraiment, en dehors des cercles politiques les plus étroits, quelle était la préconisation exacte du patron de l’UMP et de ce point de vue, le résultat du second tour, dans le Doubs, ne peut que renforcer ce sentiment d’étrangeté. L’opinion politisée a sans doute noté qu’il avait été mis en minorité dans un débat portant sur les rapports compliqués de la droite et du FN. L’opinion la plus sarkozyste a sans doute admis, vaille que vaille, qu’en bon chef de famille, l’ancien président de la République ait accepté d’être «un paratonnerre». Mais cette position victimaire qu’on lui connaissait peu, jusqu’ici, ne parvient pas à masquer ce qu’il faut bien appeler une défaite et surtout une faute.

Loin de toute morale – quoi que… – , c’est bien de politique et de politique pure qu’il a été question dans le Doubs à partir du moment où cette législative partielle a été perçue, à tort ou à raison, comme un test et un révélateur. Quand les principes sont en jeu, il n’y a pas de position de compromis possible. En rechercher une, c’est se piéger soit même en faisant la démonstration soit qu’on a échoué, soit que l’on n’a pas été suivi. Nicolas Sarkozy a fait les deux à la fois. Le vote qui a eu lieu, mardi dernier, lors du bureau politique de l’UMP opposait deux lignes antagonistes. Celle qui avait la préférence du président du parti a été battue, sans d’ailleurs que celui-ci ait pris part au scrutin dans une manière d’abstention personnelle qui en dit long sur ce qu’était sa véritable position.

On a parlé, ici ou là, des jeux de synthèse dont François Hollande s’était fait une spécialité du temps où il était premier secrétaire du PS. Certains ont cru pouvoir souligner qu’au moment même où l’actuel président se fait soudain guerrier, son prédécesseur, redevenu chef de parti, adoptait son ancien tour de main. En l’occurrence, c’est peut-être vrai dans l’intention mais cela ne l’est pas dans l’essentiel, c’est à dire le résultat obtenu. François Hollande ne cherchait pas la synthèse. Il la trouvait! Quitte à faire disparaître ou à masquer les problèmes. Or, avec Nicolas Sarkozy, le problème initial reste posé sans qu’aucun des acteurs de cette pièce détonante n’ait modifié d’un iota son discours antérieur ni même admis que la ligne de l’UMP soit désormais gravée dans le marbre.

Quitte à faire des comparaisons, il faut surtout rappeler que lorsque l’ancien patron du PS a été confronté à des questions stratégiques majeures, qui mettait en cause l’identité de son parti, il n’a ni biaisé, ni chercher à marier des contraires qui ne pouvaient pas l’être. Au soir du 21 avril 2002, quand il s’est agi d’appeler à voter pour Jacques Chirac pour faire barrage à Jean-Marie Le Pen, François Hollande a dit d’emblée son choix. Lequel, sans doute, était très largement partagé au sein de la direction socialiste mais sans qu’il fasse pour autant l’unanimité, comme Lionel Jospin lui même a fini par le reconnaître. Plus tard, en 2005, à propos de l’Europe et du traité constitutionnel, ce n’est pas la synthèse qu’a recherchée le premier secrétaire mais l’arbitrage des militants. François Hollande à cette occasion a pris ses responsabilités. Il a défendu une position nette et il l’a défendue mordicus. S’il avait été battu dans le référendum interne, il aurait rendu son tablier qu’il a conservé quand les Français ont fait le choix inverse, tout en faisant quand même le constat que cette défaite-là brisait net ses ambitions présidentielles pour 2007.

L’Europe, pour le PS, est la question qui fâche, par excellence. C’est l’équivalent du FN pour la droite. Avant François Hollande, François Mitterrand, premier secrétaire, avait compris, lui aussi, que la recherche du consensus, de la synthèse ou du choix biaisé, sur un pareil terrain, était une faute mortelle. En décembre 1973, alors qu’un congrès extraordinaire du PS avait été convoqué à Bagnolet sur cette question dirimante et que sa propre majorité dans le parti donnait des signes de faiblesse, il n’avait pas hésité à mettre sa démission dans la balance. L’Europe à l’époque avait une dimension qu’elle a perdue aujourd’hui. Derrière elle, il y avait celle des rapports Est-Ouest et François Mitterrand, allié au PC sur la scène intérieure, entendait faire la démonstration que ce choix-là ne conduisait à aucune faiblesse à l’égard de l’URSS. Bref, qu’il n’était pas neutre ou, pour le dire autrement, neutraliste.

Pour revenir à Nicolas Sarkozy, ces épisodes anciens viennent rappeler que sans prise de risque, quand l’essentiel est en jeu, il n’y a pas de bonne solution possible. La synthèse peut être un risque mais alors, il faut savoir la construire et la faire partager. Le choix est aussi un risque mais alors, il faut l’accepter dans toutes ses conséquences et savoir, quand on perd, mettre en scène courage et convictions, dans l’espoir d’un futur rebond. Rechercher la synthèse et échouer à l’obtenir, se faire battre et n’en tirer aucunes conclusions personnelles, c’est cumuler les inconvénients sans tirer de ce positionnement le moindre bénéfice politique. Dimanche dernier, Nicolas Sarkozy n’a pas vu le coup venir. Il s’est laissé enfermer dans un choix binaire sans parvenir à expliquer qu’une simple partielle pouvait être un rendez-vous secondaire qui ne méritait peut-être pas cette clarification définitive qu’exigeaient non pas l’opinion de droite, mais les commentateurs de toutes obédiences. Une fois dans ce piège, il n’a pas osé poser aux siens cette question de confiance qui supposait qu’il lie la promotion de sa ligne et la question de son maintien à la tête de l’UMP alors qu’on voit d’ailleurs mal qui aurait eu intérêt à sa chute sur pareil dossier. Nicolas Sarkozy s’est planté parce qu’il a hésité. Il a hésité parce qu’il a eu la trouille.