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Laïcité : cet engagement que Hollande préfère oublier…

Laïcité : cet engagement que Hollande préfère oublier…

Lors de sa conférence de presse, François Hollande a ajouté un nouveau mot – laïcité – à la devise de la République – liberté, égalité, fraternité. Voilà pour le discours. Il n’est pas d’une originalité folle. Il y a déjà longtemps que les responsables politiques de toutes tendances – FN compris – pratiquent cette extension du domaine de la République. Laquelle, faut-il le rappeler, est définie comme laïque dès l’article 1er de la Constitution. Pour faire bonne mesure, le chef de l’État a fait, jeudi dernier, les génuflexions d’usage devant la loi de séparation des Églises et de l’État, dite loi de 1905, qui installe et organise ce principe au cœur de notre organisation sociale. C’était bien le moins alors que l’on va fêter à la fin de l’année, l’anniversaire d’un grand texte républicain qui a fait la preuve de sa solidité et de son efficacité. Le contexte se prête à pareil hommage. L’opinion, traumatisée par les attentats de janvier dernier, voit d’un bon œil tout ce qui vient rappeler le ciment laïc de la société française. Et ce n’est pas parce qu’au sommet de l’État, on estime que ce dispositif constitutionnel et législatif se suffit à soi-même, qu’il n’est pas besoin de le célébrer. Au moins en parole.

Faut-il aller plus loin? Faut-il clarifier davantage ? Faut-il surtout donner une force accrue à des textes qui n’en manquent déjà pas. A l’évidence, telle n’est pas l’opinion des principaux gardiens de la Constitution. Lors de l’examen, en février 2013, d’une «question prioritaire » portant sur la prise en charge par l’État du traitement des pasteurs des églises consistoriales, le Conseil constitutionnel a estimé qu’il n’y avait rien à redire, à ce sujet, au regard de nos lois fondamentales. C’est sur cette décision qu’à l’Élysée, on s’appuie pour expliquer que le statut quo est aujourd’hui la solution la plus sage et que si nouvelle impulsion il doit y avoir, c’est dans l’application concrète de la législation en vigueur. Tout cela se défend. Sauf que l’on aurait pu imaginer qu’à titre symbolique – et on sait ce que pèsent les symboles dans les périodes de grande confusion ! – la détermination laïque des autorités publique soit affirmée avec une vigueur supplémentaire.

Comment? Durant la campagne présidentielle de 2012, François Hollande a jugé bon de proposer qu’on constitutionnalise la loi de 1905. Puisque celle-ci fait consensus, pourquoi, en effet, ne pas la hisser à ce niveau? Suggérée une première fois lors d’un colloque en décembre 2011, reprise deux mois plus tard dans son discours du Bourget, cette proposition, malgré certaines critiques venant, pour des raisons diamétralement opposées, tant du camp du laïc que des cercles religieux, avait été formalisée en bonne et due forme dans le catalogue des soixante propositions du candidat socialiste. Dans cette liste de promesses, il y en avait de vagues. Certaines étaient des leurres et d’autres de simples déclarations d’intention. Celle-là – la numéro 46 – avait au moins le mérite de la précision. «Je proposerai, pouvait-t-on y lire, d’inscrire les principes généraux de la loi de 1905 sur la laïcité dans la Constitution en insérant dans son article 1er, un deuxième alinéa ainsi rédigé : la République assure la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes et respecte la séparation des Églises et de l’État, conformément à la loi de 1905, sous réserve des règles particulières applicables en Alsace et Moselle».

En faisant cette proposition ciblée, le candidat Hollande conciliait à la fois les principes et la réalité. Il mettait ses pas dans la grande tradition de la République. Il respectait les compromis que celle-ci a su passer en tenant compte du poids de l’Histoire et des traditions. Bref, il rappelait ce que tout le monde sait : le principe laïc est intangible mais il comporte des trous. Notamment dans les régions récupérées au lendemain de la première guerre mondiale mais aussi en Guyane et dans nombre de territoires d’Outre-mer. Le symbole auquel François Hollande entendait attacher son nom, via la constitutionnalisation de la loi de 1905, était donc double puisqu’il portait à la fois sur le texte et le contexte – si on ose dire.

On peut discuter de cette proposition. On peut signaler que, dans sa mise en œuvre, elle soulève plus de problèmes juridiques qu’elle n’en résout vraiment. Mais elle a sa cohérence et surtout elle existe sous forme d’un engagement explicite. Que ceux qui la jugeait inutile, compliquée ou même dangereuse, se garde bien de la reprendre, à gauche comme à droite, depuis quelques semaines, est aisément compréhensible. Mais que celui qui l’a mise sur la table donne l’impression de la cacher sous la tapis est quand même assez curieux. Surtout quand on voit combien celui-ci peine à trouver les mesures générales ou concrètes qui puissent illustrer cette laïcité à la française dont il se veut le premier défenseur.

François Hollande craint-il que sa proposition soit retoquée? Sans doute ne fait-elle pas l’unanimité mais y-a-t-il une seule initiative politique que puisse le faire, même dans un contexte d’union nationale ? Depuis janvier 2015, le président a retrouvé une voix qui porte. Sur la question laïque, il est en phase avec une très large part de l’opinion. Pour faire passer pareille réforme constitutionnelle, le plus simple et le moins clivant aussi, serait de passer par le congrès qui rassemble députés et sénateurs et vote à la majorité qualifiée. François Hollande a l’habitude de regretter que la mauvaise volonté de la droite l’empêche de trouver le chemin du consensus nécessaire pour faire passer des textes qui, sur le papier, lui conviennent pourtant, notamment sur le statut des magistrats. Est-il certain que cette obstruction demeure quand elle touche à la laïcité, façon 1905? Pour en avoir le cœur net, rien ne l’empêche d’interroger publiquement les leaders de la droite, quitte à les placer devant leurs contradictions. S’il ne pose pas la question, le président est sûr, en tous cas, de ne pas avoir la réponse.

Sa discrétion, sur la proposition 46, est aujourd’hui telle qu’on en vient à penser que son intention réelle est belle et bien de l’enterrer en silence. D’autant que pour la faire avancer, François Hollande dispose d’une autre arme qui est celle du référendum. Or n’a-t-il pas expliqué, lors de sa conférence de presse, que le renouveau de notre démocratie passait par une démarche plus participative ? N’a-t-il pas suggéré qu’on organise davantage de référendums locaux ? N’a-t-il pas enfin regretté que la loi sur le référendum d’initiative populaire, élaborée du temps de son prédécesseur, soit d’une application aussi volontairement compliquée ? Curieux président qui voit comment on pourrait éviter, demain, de nouveaux drames comme celui de Sivens en consultant à temps ceux que cela concerne et qui laisse de côté une procédure qui pourrait ressouder les Français avant que ne se reproduise un drame comme celui de Charlie.

Dans cette affaire, François Hollande se trouve ainsi placé devant un paradoxe. Il a, dans sa manche, une promesse qui répond en partie à la situation du moment mais il ne veut pas la mettre sur la table. Il a, dans son arsenal, une arme qu’il peut utiliser à sa guise et qui correspond à ce qu’il dit souhaiter sans qu’il veuille pourtant la dégainer. Rien ne laisse prévoir qu’il puisse décider, dans un prochain avenir, de revenir sur cette double impuissance dont il est lui-même l’artisan. De là à penser que le chef de l’État ne croit, ni à ce qu’il promettait hier, ni à ce qu’il dit aujourd’hui…