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Juppé, comme hier Hollande

Juppé, comme hier Hollande

La primaire – celle à laquelle se sont résolus les grands partis de gouvernement lorsqu’ils sont dans l’opposition – produit ses règles, ses rites et ses postures. Quand la droite s’y est mise, elle a repris, au détail près, ce que les socialistes avaient mis au point, en 2011, comme si les mêmes contraintes conduisaient nécessairement aux mêmes solutions. Mais ce mimétisme va plus loin. Il touche désormais les principaux candidats en lice.

C’est fou, par exemple, comme Juppé est aujourd’hui hollandais. Dans la primaire qui commence, chez les Républicains, il semble suivre à la trace l’exemple de l’ancien candidat socialiste lorsqu’il a fini par s’imposer aux électeurs de son camp. Oublions un instant la personnalité des deux hommes et regardons d’abord leur parcours. C’est lui qui dicte une partie de leur positionnement, non pas à l’écart du parti mais légèrement en marge.

Comme François Hollande qui avait été pendant plus de douze ans le premier secrétaire du parti, Alain Juppé a été le premier président de l’UMP. Avec lui, pas de procès possible en légitimité. Le maire de Bordeaux est à la fois du métier et de la famille. Mais comme François Hollande en son temps, il a cessé d’être un simple homme d’appareil sans pour autant faire de la contestation du parti l’alpha et l’oméga de sa conduite.

Le regard distancé et critique qu’il porte sur l’organisation de son camp lui assure, dit-on, cette liberté de pensée qui fait désormais sa réputation. La question n’est pas de savoir si celle-ci est usurpée ou non. Les Français n’aiment pas les partis. Cela tombe bien, Alain Juppé a laissé à Nicolas Sarkozy le soin – et la charge – d’animer le sien comme l’avait fait, hier, François Hollande avec Martine Aubry. D’un handicap supposé, il tire une force aux yeux de l’opinion.

Du coup, c’est son mandat local qui, désormais, le définit le mieux. On parle du maire de Bordeaux comme on parlait hier du président du conseil général de la Corrèze. Là encore, il en découle une réputation qui, en l’espèce, est de modération. Alain Juppé n’est pas de la droite dure. François Hollande était un socialiste que l’on disait mou pour signifier que l’orthodoxie n’était pas sa principale boussole. Les Français n’aime pas Paris. Cela tombe bien. Alain Juppé, à son tour, incarne la province et à travers elle, une forme de chiraquisme dont François Hollande avait su, avant lui, capter l’essence particulière, un brin rad-soç’.

Libre et modéré, de droite incontestablement, mais pas à droite, comme dit dans les partis patentés, Alain Juppé a quelque chose de… normal. Ni son mode de vie, ni l’usage qu’il fait de ses prérogatives, ni le rythme qu’il donne à ses activités, ni la manière enfin dont il exprime son ambition ne sont celles qui signalent l’appétit carnassier des grands fauves de la politique. Les Français n’aiment pas que leurs dirigeants appartiennent à une autre tribu que la leur. Ils adorent en revanche qu’avec l’âge, ceux-ci sachent mettre en scène une expérience cahotique qui atteste une forme de sagesse ou même de désintéressement. Cela tombe bien. Alain Juppé, comme autrefois François Hollande, est un revenant tranquille qui fait soudain la nique à ceux qui l’avaient enterré.

Cette posture juppéo-hollandaise est une construction et non une invention. À ce titre, elle donne une cohérence à un parcours politique d’un genre particulier qui, en soit, n’a rien de très original mais dont on vérifie, une fois encore, combien il est adapté à la procédure des primaires. Rien ne permet de dire, bien sûr, que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, Alain Juppé est promis au même destin que François Hollande. Mais il faut bien constater que cet étrange parallélisme qui n’a peut-être pas été pensé et voulu comme tel par le maire de Bordeaux, lui donne à son tour, un statut de favori dans une compétition où il semblait n’être, au départ, qu’un outsider fatigué.

Dans la gestion de ce nouveau statut, Alain Juppé se comporte d’ailleurs comme l’avait fait François Hollande lorsque la chute de DSK et les hésitations de Martine Aubry l’avaient poussé au premier rang des sondages. Il avance en recherchant une forme d’évidence, sans accélération majeure, en exerçant sur ses concurrents une pression constante qui vise moins à contester leur programme qu’à démontrer la vanité de leur candidature. Enfin, à intervalles réguliers, il prend soin de mettre sur la table, à grand renfort de publicité, des propositions qui sont autant de marqueurs destinés à rappeler son attachement aux valeurs de son camp.

Son dernier livre, consacré à l’État garant de la sécurité, est, en ce sens, l’équivalent, pour la droite, de que qu’avaient été, pour la gauche, les 60.000 postes promis par le candidat Hollande à l’Éducation nationale. Pour le reste, Alain Juppé reste prudemment à couvert au prix de synthèses acrobatiques dont l’unique fonction est d’éviter à la fois la polémique qui abîme et le décalage qui surprend. C’est ainsi que dans le débat sur la déchéance de nationalité, il a pu annoncer, sans rire, dans la même interview au JDD, début janvier, que cette mesure était inutile mais qu’il l’aurait quand même votée s’il avait été parlementaire…

Alain Juppé, dans la bataille des primaires, carbure aux sondages et c’est sur ce terrain-là que Nicolas Sarkozy espère combler son retard grâce à son livre de confessions. Le positionnement du maire de Bordeaux, par contraste avec celui de ses concurrents, nourrit sa popularité. Il tend à séduire l’opinion de son camp plus que les militants de son parti. Ce qui lui permet, en retour, de crédibiliser encore davantage une candidature dont l’atout principal est d’apparaître comme la plus efficace pour vaincre, demain, le futur champion de la gauche. À ce jeu, Alain Juppé peut même nourrir l’ambition d’entraîner avec lui une fraction de ceux qui, de l’autre côté de la barrière, attendent «le changement», comme avait su le faire François Hollande lorsqu’il braconnait sans complexe sur les terres de l’anti-sarkozysme de droite.

Est-ce tenable ? Est-ce durable ? Une campagne, fut-elle de primaire, est un révélateur de personnalité et rien ne permet de dire à l’avance que celle d’Alain Juppé va lui permettre de vaincre à tout coup dés lors qu’il a choisi le créneau qui fut le plus efficient à gauche, en 2011. On se contentera donc d’examiner ici l’argument central utilisé par ses contempteurs habituels lorsqu’ils expliquent que cette candidature est une bulle qui explosera nécessairement à l’épreuve des faits.

Un nom résume cet argument et, à travers lui, ce doute : Balladur. Candidat des sondages, champion supposé de l’opinion, héros malheureux d’une presse trop pressée, l’ancien Premier ministre n’avait pas tenu la distance, en 1995, lorsque les professionnels du circuit, à commencer par Jacques Chirac, étaient entrés dans la danse. Il avait fait un moment illusion et puis, la campagne, la vraie, avait rétabli les hiérarchies véritables.

Dans cette affaire, sans doute la légende est-elle plus belle que la réalité et la défaite d’Édouard Balladur, au premier tour de la présidentielle, moins nette qu’on le raconte aujourd’hui. Mais telle n’est pas la question. Derrière l’expérience de 1995 qui fut aussi celle de Raymond Barre en 1988, il y a l’idée que les favoris de la pré-campagne n’ont pas les qualités suffisantes pour l’emporter au final. Ou, mieux encore, que les qualités qui sont les leurs, avant que s’ouvre la compétition, sont précisément celles qui expliquent leur défaite, le jour du scrutin.

Le leurre, ça serait donc le sondage qui mesure l’opinion mais qui ne prévoit pas l’électeur. L’erreur, une fois encore, serait de considérer comme jouée d’avance, une présidentielle dont on sait d’expérience qu’elle ne se passe jamais comme la presse l’avait annoncé. Alain Juppé serait ainsi, à son tour, la victime prévisible de cette illusion d’optique qui a conduit nombre de ses semblables tout droit vers les cimetière des éléphants qui ne furent jamais rois.

Ceux qui tiennent ce discours ont de la mémoire mais ils oublient un détail qui n’est pas secondaire. Avant la présidentielle, il y a désormais la primaire. Or la primaire, est, par essence, une compétition dictée par les sondages. C’est son originalité première que François Hollande avait comprise mieux que d’autres en 2011 et dont Alain Juppé s’est saisi dans des conditions comparables.

Le sondage de primaire n’est pas un baromètre neutre. C’est une arme. Dans la présidentielle, l’enquête d’intention de vote pèse sur le moral des troupes, influe sur la stratégie des candidats et dicte le commentaire de presse mais, au sens propre du terme, elle ne décide de rien. Dans la primaire, en revanche, parce que celle-ci est une compétition interne, elle désigne le favori et lui donne du même coup, le statut qui lui permet de vaincre.

La primaire est une élection est d’un type particulier dont les lois ne sont pas celles de la présidentielle même si, dans son mode d’organisation, elle lui ressemble beaucoup. Elle est l’affaire d’un échantillon dans l’électorat du parti qui l’organise. Dès lors qu’elle mobilise deux à trois millions de personnes qui sont d’abord des sympathisants, elle concerne un échantillon représentatif – d’où la légitimité du scrutin – qui se détermine en fonction de critères propres qui disent une préférence – d’où l’originalité de la sélection –.

Ne pas le voir, c’est se tromper d’élection et oublier surtout qu’une haie supplémentaire, sur le parcours des candidats potentiels, modifie inévitablement le rythme de la course et avec elle, le profil de ses nouveaux champions. Alain Juppé, comme hier François Hollande est un candidat de primaire dont on saura plus tard, à condition bien sûr qu’il soit désigné, s’il était, lui aussi, un candidat apte à supporter le poids d’une campagne présidentielle. En attendant, il faut admettre que la similitude de leur posture, à cinq ans de distance, relève moins du hasard que de la nécessité.

La primaire change la donne. Qui tenait autrefois le parti, tenait aussi la candidature. François Mitterrand, Jacques Chirac en ont fait la démonstration en 1981 et 1995. Mais s’il y avait eu une primaire, à cette époque-là, neuf mois avant le scrutin proprement dit, tout laisse à penser que Michel Rocard et Edouard Balladur auraient pu l’emporter. Et pour cause ! L’opinion sondagière qui les portait alors au pinacle était déjà la même qui semble pouvoir conduire Alain Juppé jusqu’au septième ciel. CQFD.