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Hollande dans la peau d’Human Bomb

Hollande dans la peau d’Human Bomb

François Hollande a redit, samedi sur France Inter, que, faute d’une inversion de la courbe du chômage d’ici la fin de l’année, il ne solliciterait pas un second mandat. Rien de nouveau sous le soleil ? Depuis qu’il est entré à l’Élysée, le Président de la République réitère cet engagement dont il explique d’ailleurs qu’il relève d’un constat de bon sens. Échouer à ce point sur le front de l’emploi, n’est-ce pas devenir ipso facto inéligible ? Nicolas Sarkozy, en tous cas, en a fait la démonstration en 2012 et il n’y a aucune raison pour qu’en 2017, les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets avec son successeur. CQFD.

À partir de là, comment expliquer que les propos de François Hollande suscitent aujourd’hui pareil émoi ? Le changement, c’est le contexte. L’inversion, c’était à l’origine une promesse. Puis, c’est devenu un espoir crédible. C’est désormais un pari fou. La croissance a repris des couleurs mais l’économie mondiale donne à nouveau des signes de faiblesses. Une crise financière d’une ampleur comparable à celle de 2009 n’est pas à exclure. La confiance s’érode un peu plus et ceux-là même qui jugeaient l’inversion écrite d’avance sont désormais dubitatifs.

Plutôt que de nuancer son engagement, François Hollande a choisi de le réaffirmer avec force. Avait-il le choix ? En tous cas, il n’a pas pris le risque de biaiser. Sur un plan strictement politique, tout cela n’est pas sans conséquences. Il n’y plus désormais d’évidence Hollande et, partant, le Président sortant cesse d’être «le candidat naturel» de son camp, comme disait encore récemment Manuel Valls. C’est que ses contempteurs, à gauche, cherchaient à faire comprendre en relançant le projet de la primaire. Voilà soudain que François Hollande, en personne, semble les rejoindre en instillant le doute sur son avenir politique.

Joue-t-il ? Cherche-t-il à faire d’une faiblesse évidente une force pour demain ? C’est probable. Dans un compétition présidentielle, l’évidence n’existe pas, qu’on soit ou non le sortant. François Hollande a trop d’expérience pour l’ignorer. L’évidence tue le désir. Le doute, en revanche, peut le réanimer. En 1988, François Mitterrand en avait fait la démonstration éclatante. «J’hésite», confiait-il encore, quelques mois avant de remonter au front, à une époque où, en coulisses, quelques hommes triés sur le volet jetaient déjà les bases de sa campagne victorieuse.

François Hollande est-il en mesure de suivre cet exemple avec les mêmes effets ? Quand on compare les situations des deux Présidents à un an des échéances, on oublie trop souvent de rappeler qu’avant 1988, François Mitterrand n’était pas incontesté, à gauche. Michel Rocard avait juré qu’il serait «candidat jusqu’au bout». Des socialistes tels Marie-Noëlle Lienemann expliquaient qu’un nouveau mandat mitterrandiste serait «anesthésiant». Communistes et écologistes voulaient, eux aussi, tourner la page.

Cela dit, François Mitterrand avait des atouts dans sa manche que n’a pas aujourd’hui François Hollande. La cohabitation lui avait rendu un rôle et une popularité. La charge du pouvoir et donc le poids du bilan reposaient en priorité sur les épaules d’un Premier ministre nommé Jacques Chirac qui semblait en mesure de résister, à droite, à la concurrence de Raymond Barre – le Juppé de l’époque –. Les hésitations du Président, enfin et surtout, étaient liées à son âge et non au respect d’une promesse de campagne.

Or, pour justifier une nouvelle candidature, il est quand même plus facile de mettre en scène un sacrifice personnel que de s’asseoir sur un engagement pris devant les Français. C’est en cela que la partie est aujourd’hui bien plus compliquée pour François Hollande qu’elle ne l’était pour François Mitterrand. Quand celui-ci donnait – ou plutôt faisait mine de donner – des signes de faiblesse, ses supporters l’abjuraient de prendre la tête de la résistance. «Tonton, tiens bon». Quand il posait en père de la Nation avec pour seul programme l’union de tous les Français face aux «bandes et aux clans», ils ne lui demandaient pas chaque matin de jurer fidélité aux valeurs constantes de la gauche. Pour le dire autrement, François Mitterrand, aux yeux des siens, était une solution et non pas un problème.

C’est ce qui change tout. S’il veut s’en sortir autrement que les deux pieds devant, François Hollande se trouve donc contraint, à un an de la présidentielle, de faire la démonstration ô combien périlleuse qu’il est le seul à pouvoir éviter à son camp l’humiliation d’une déroute. Avant cela, il va être obligé de montrer que toute autre solution que sa candidature aurait pour seul effet d’ouvrir, à gauche, une compétition qui sonnerait – et pour longtemps – le glas de son unité. Mais pour que cette menace soit crédible, il doit aller jusqu’au bord du gouffre. D’où ses propos sur l’inversion de la courbe qui sont l’expression achevée d’une prise de risque maximale.

Le gouffre est là. Le vide aussi. Le Président peut y tomber le premier et ne jamais en sortir. Mais s’il tombe, n’est-ce pas toute la gauche qui sera entraînée avec lui ? Au fond, François Hollande tente de transformer le sens de la compétition qui s’esquisse depuis quelques semaines dans son dos. S’il se découvre autant en confirmant que l’inversion de la courbe du chômage reste, pour lui, l’unique critère de sa candidature, c’est pour obliger ses concurrents, à gauche, à jouer carte sur table plus tôt qu’ils ne l’avaient imaginé.

Pour le dire autrement, François Hollande espère clarifier la partie en commençant par la déstabiliser encore davantage. Plutôt que d’essayer de resserrer son propre dispositif, il laisse aux autres le soin d’en élaborer un nouveau qui soit à la fois plus crédible et plus efficace. Pour l’instant, tout fonctionne comme prévu. Avec le remaniement, le Président a pris ses dernières précautions. Son unique objectif était de faire entrer au gouvernement les représentants patentés des radicaux de gauche et des écologistes. Ce qui prouve qu’il n’a renoncé à rien pour la suite. Mais à peine cette page refermée, il s’est lui même chargé d’en ouvrir une autre qui est celle de sa possible succession.

Sans doute la gauche n’avait-elle pas besoin de cela pour s’éclater davantage. Mais le moins que l’on puisse dire est que François Hollande n’a rien fait rien pour calmer les courants qui la traversent. Avec le projet de loi El Kohmri dont il a surveillé et béni la rédaction, il peaufine sa réputation de briseur de tabous. Pour la dernière grande réforme de son mandat, il bouscule son camp comme il l’avait déjà fait avec la révision constitutionnelle et la déchéance qui l’accompagne. Cette posture dessine une ligne. C’est celle d’un Président qui tient parole – pas d’inversion, pas de candidature – et qui prend ses responsabilités – l’intérêt supérieur du pays plutôt que le respect du vieux catéchisme de la gauche –.

Voilà donc les portes grandes ouvertes. D’un côté, François Hollande met en scène une forme de solitude sans rien cacher des risques considérables que cela entraîne pour son propre avenir. Mais après tout, est-il plus seul aujourd’hui qu’il ne l’était hier ? De l’autre, il incite ses camarades – tous ses camarades – à prendre leur risque à leur tour en les plaçant devant une alternative d’une simplicité diabolique : soit le soutenir jusqu’au bout, quitte à sombrer avec lui; soit se préparer au grand jour mais en assumant alors toutes les conséquences de leurs ambitions affichées, étant entendues que celles-ci ne pourront pas être arbitrées autrement que dans le cadre d’une primaire – du PS ou de la gauche, c’est selon – aux résultats par nature incertains.

Cela vaut pour ceux qui se préparaient dans la semi-pénombre. Arnaud Montebourg, notamment. Cela vaut aussi pour ceux qui – logiquement d’ailleurs – réfléchissaient aux conditions concrètes de l’après-hollandisme. En matière de déstabilisation, on a rarement fait mieux. La gauche du PS et, avec elle, la gauche de la gauche pensaient avoir le temps de régler leurs propres contradictions. Elles vont devoir accélérer et trancher. Les hollandais de stricte obédience croyaient pouvoir retrouver leurs anciennes habitudes dés lors que leur champion serait à nouveau en lice. Ils se découvrent potentiellement orphelins et contraints de se choisir un père de substitution. Quant aux mécaniciens de l’après 2017 qui rêvaient d’un passage de témoins, plus ou moins négocié, il vont devoir désormais sauter le pas, sans avoir l’assurance de ne pas sauter, du même coup, dans le vide.

Deux ministres sont tout particulièrement concernés par ce grand rabattement : le Premier d’entre eux, Manuel Valls et le nouveau venu dans la compétition, Emmanuel Macron. À Matignon et à Bercy, on entend les mêmes cliquetis d’armes. L’heure est à la mobilisation et à l’organisation. La nouveauté n’est pas dans la rivalité que celles-ci révèlent mais dans l’affirmation d’une concurrence assumée. Le pas de côté de François Hollande a un effet d’aspiration. Jusque-là, Manuel Valls ne voulait ni ne pouvait sortir ouvertement du rôle qu’impose la logique des institutions. Emmanuel Macron, pour sa part, estimait que son jeune âge, dans un métier politique dont il feignait de mépriser les règles, lui laissait le temps de mener sa carrière à sa guise et par des voies détournées. Visiblement, on n’en est plus là.

Le mieux, d’ailleurs, est que François Hollande ne décourage aucune de ces initiatives. Dés lors qu’il a lui même ouvert la boite de Pandore, comment et surtout au nom de quoi pourrait-il les combattre ? Pour l’instant, on dira qu’il les observe avec un intérêt non dissimulé. Mais il ne faut pas gratter bien longtemps avant de comprendre qu’entre ces deux ambitions, l’une l’excite davantage que l’autre pour la simple raison qu’il la juge plus sérieuse, à double titre.

Dans la bataille de sa possible succession, Manuel Valls a une longueur d’avance. Comme Premier ministre, il occupe surtout une place centrale dans un dispositif gouvernemental censé conduire la réforme jusqu’au bout du quinquennat. Or la question que pose inévitablement l’affirmation affichée des ambitions vallsienne est celle de la cohérence et de la stabilité de l’action conduite au sommet de l’État. Être Premier ministre et en même temps un candidat de substitution – au cas où… – était une difficulté que Manuel Valls assumait vaille que vaille. Rester Premier ministre en se lançant dès à présent dans une bataille de primaire est en revanche une gageure qu’il peut ne pas vouloir assumer.

Dans une compétition qui s’annonce sans pitié et où il joue la suite de sa carrière, Manuel Valls n’a pas les épaules assez larges pour être à la fois celui qui arbitre à Matignon, sous les ordres de l’Élysée, et celui qui affiche librement devant les pays son identité politique et, à travers elle, un nouveau projet pour la gauche. Pour le dire sans détour, son éventuelle candidature l’oblige à reprendre, au plus vite, toute sa liberté. C’est là que le bât blesse.

François Hollande peut-il assumer à la fois une redistribution des cartes à gauche et une affirmation de toutes les ambitions en son sein sans donner un billet de sortie à celui qui, au moins dans les sondages, est aujourd’hui le mieux placé pour lui succéder ? S’il ne le fait pas, il prend en tous cas le risque de voir son gouvernement avancer à la godille dans une forme d’impuissance dont on mesure déjà les effets délétères. Et puis surtout, on voit mal comment le candidat Valls pourrait accepter de s’élancer avec un tel boulet à la patte, sans rechercher à la première occasion à retrouver toute son indépendance, fut-ce par la démission.

Fallait-il que François Hollande se sente dans les cordes pour ouvrir le jeu à ce point ? Tout ce qu’il fait aujourd’hui traduit une prise de risque. C’est en compliquant la donne qu’il espère pouvoir demain la simplifier. C’est en multipliant les possibles qu’il imagine résoudre l’équation de sa fin de mandat. C’est en opposant la simplicité d’un positionnement politique hétérodoxe à la complexité de toute alternative qu’il avance sur l’obstacle. À gauche, le système était dispersé. Il est désormais sous tension. Il peut exploser à tout instant. Plutôt que de se laisser conduire à l’abattoir, François Hollande tenait visiblement à ce que personne ne doute de ses talents d’artificier.