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Gauche : après la fracture, les factures

Gauche : après la fracture, les factures

Après la tempête, que reste-t-il? Quel est le nouveau paysage, à gauche, après un psychodrame qui, durant une semaine, aura exacerbé toute les divisions de la majorité et, pour la première fois du quinquennat, contraint l’exécutif à utiliser, contre ses propres députés, des mesures coercitives qu’il avait su, jusqu’à présent, éviter?

1 – La loi Macron a été abîmée, au moins dans son image que le ministre voulait si belle, si lisse, si moderne… Mais elle vit encore. La prochaine étape du débat est sénatoriale. Une péripétie dès lors que la Haute assemblée est à droite et que le dernier mot reviendra aux députés? Pas si sûr… Le gouvernement réfléchit actuellement à la manière d’enrichir un projet de loi déjà protéiforme. Puisque la ligne est d’avancer à tous prix et de ne pas «perdre de temps», comme dit François Hollande, pourquoi ne pas profiter de la lecture au Sénat pour glisser dans le texte Macron, par voie d’amendements, des dispositions qui n’y figurent pas encore et qui pourraient concerner, par exemple, le dialogue social ou le régime des intermittents du spectacle ? Le ministre de l’Economie, en tous cas, n’est pas hostile à cette méthode expéditive. Manuel Valls, lui, demande encore à voir. Le risque est constitutionnel. Les Sages n’aiment déjà pas les lois à tiroirs. Mais si en plus, on les bourre de «cavaliers», comme disent les spécialistes du débat parlementaire… L’autre risque est politique. Ces éventuels ajouts ne peuvent que braquer encore davantage la frange frondeuse du groupe socialiste à l’Assemblée. Mais dés lors que la procédure du 49.3 a été enclenchée, pourquoi se gêner en recherchant des compromis désormais inutiles ?

2 – Le groupe des députés PS est au bord de la crise de nerf. Sa réunion, après que le gouvernement a été contraint d’utiliser le 49.3, a été d’une rare violence. Jusqu’à présent, les frondeurs n’avaient jamais réussi à faire trébucher le gouvernement. Cette fois, c’est fait. Les députés légitimistes ne sont pas prêts de leur pardonner ce grave accroc à la discipline majoritaire, juste au moment où la préparation des élections départementales exigeait un surcroît d’unité. D’où l’idée qui revient à grand pas d’un code de bonne conduite qui s’imposerait désormais à tous et à chacun. Avec exclusion, en cas de vote négatif sur des textes jugés importants. Et privation de responsabilité, en cas d’abstention. Cette dernière disposition vise notamment la rapporteuse générale du Budget, Valérie Rabault. Avec ses camarades, Karine Berger, Yann Galut et Alexis Bachelay, elle n’a pas voulu réveler ce que serait son vote sur le projet de loi Macron. Cette incertitude a lourdement pesé sur le choix de la procédure du 49.3. Manuel Valls a vu là une mauvaise manière qu’il n’oubliera pas de sitôt.

3 – Les alliés du PS sont au bord de l’implosion. Les communistes du groupe GDR ont franchi une étape supplémentaire sur le chemin de la rupture en annonçant qu’ils voteraient la censure proposée par la droite. Du jamais vu dans l’histoire récente de la gauche ! Au final, seul cinq députés sur quinze ont suivi cette consigne. Il suffirait qu’un seul d’entre eux claque la porte du groupe pour que celui-ci n’existe plus, faute d’un effectif suffisant. Ce devrait être chose faite après les élections départementales. Côté écolo, la division, pour être traditionnelle, n’en est pas moins aussi forte. Certes, sur le projet de loi Macron, la grosse majorité du groupe voulait voter contre, seuls quatre députés ayant affiché leur intention de s’abstenir. Mais, la fracture, chez les Verts, passe surtout à l’intérieur du parti. Elle est d’abord stratégique et, du coup, elle est de plus en plus difficile à réduire.

4 – Le remaniement que l’Élysée avait programmé, dans la foulée des départementales, est mal parti. Il devait permettre de resserrer les rangs de la majorité après un scrutin qui s’annonce catastrophique pour la gauche. Mais comment confier un portefeuille à des députés qui contestent un projet de loi jugé essentiel par François Hollande et Manuel Valls? Cela vaut surtout pour ces Verts qui frappent à la porte du gouvernement et notamment leurs deux présidents de groupe, François de Rugy et Barbara Pompili. Tous les deux ont des suppléants socialistes. Cela reste un atout au moment où le groupe PS compte ses voix. Mais en faisant savoir, la semaine dernière, qu’eux aussi entendaient voter contre le texte Macron, de Rugy et Pompili se sont attirés les foudres de l’Élysée et de Matignon. Pas question, leur a dit Manuel Valls, de promouvoir des responsables politiques qui contestent ainsi la ligne de l’équipe qu’ils entendent rejoindre.

En éjectant Arnaud Montebourg, Benoit Hamon et Aurélie Filippetti, à la fin de l’été dernier, le Premier ministre voulait un gouvernement homogène. Il n’a pas changé d’avis. Lors de son discours devant l’Assemblée, jeudi, il n’a rendu hommage qu’aux présidents du groupes socialiste, Bruno Le Roux, et radical, Roger-Gérard Schwartzenberg. Sur son banc, François de Rugy, a fait mine de s’en offusquer. Cet oubli dit, de manière explicite, l’état d’esprit du Premier ministre qui regardera de très près le vote, au Sénat, du patron du groupe écolo, Jean-Vincent Placé.

La question du remaniement concerne enfin les proches de Martine Aubry, dans un contexte très différent. A la différence des ministrables écolos, François Lamy et Jean-Jacques Germain – qui était au ski, la semaine dernière… – entendaient s’abstenir sur le texte Macron. La députée de Lille, Audrey Linkenheld, voulait, elle, voter pour. Les aubrystes patentés ont donc eu, selon l’Élysée et M atignon, un comportement «convenable». Mais les propos tenus depuis Toulouse, par Martine Aubry, le jour du débat de censure, ont remis de l’huile sur le feu. Silencieuse en début de semaine, au cœur de la bataille, la maire de Lille, qui n’est pas députée, a reproché au gouvernement de ne pas avoir suffisamment écouté sa majorité dans la discussion parlementaire. Ce qui, vue la longueur des débats dans l’hémicycle, est un argument assez étonnant. Sauf si l’on comprend que Martine Aubry, dans la perspective du congrès socialiste de juin, n’a pas voulu laisser à Benoît Hamon le leadership sur l’aile gauche du parti. Ce pas de côté, en tous cas, ne favorise pas le remaniement voulu par l’exécutif dans le seul objectif de manifester le rassemblement de toutes les tribus roses.

5 – Le congrès de Poitiers est relancé. La ligne de fracture, au sein du PS, passe exactement là où était le point d’équilibre recherché par le premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis. De là à imaginer que c’était ce que recherchaient les va-t-en-guerre de tous poils… Pour tenir le choc, l’actuelle majorité du PS va devoir assumer une bataille frontale alors que beaucoup, dans ses rangs, exploraient la voie du compromis et de l’équilibre. Sur l’Europe, sur le dialogue social, le gouvernement a encore dans ses cartons des textes qui ne favorisent pas la paix civile au sein de la famille socialiste. Sans parler du projet Macron qui ne fait qu’entamer une route parlementaire semée d’embûches. Tous ces textes peuvent-ils être repoussés après le congrès de juin? Seront-ils utilisés, au contraire, comme autant de rendez-vous, pour une clarification interne à haut risque? Dans cette affaire, l’intérêt du premier secrétaire n’est pas forcément le même que celui du Premier ministre.

6 – Face à ce genre de péripéties, le tempérament de François Hollande a toujours été de rechercher, sinon la synthèse, du moins un équilibre qui ne rajoute pas du sel sur les plaies. Le président voulait faire vivre le plus longtemps possible «l’esprit du 11 janvier». Les épreuves électorales de mars – départementales – et décembre – régionales – l’incitaient à explorer les voies du rassemblement le plus large possible. Le faux-pas du projet de loi Macron le contraint à changer de méthode. Il met en lumière un hiatus entre la politique et la stratégie du président. Sur le chemin de la réforme qui est, pour lui, celui d’une croissance retrouvée, sous l’œil attentif de Bruxelles, il n’a plus aucune marge. François Hollande doit avancer – et vite! Mais s’il persiste sur cette ligne, il attise nécessairement des divisions internes, affichées désormais au grand jour, et qui mettent en péril l’équilibre de son dispositif parlementaire et partisan. Vu de Matignon, cette clarification inévitable n’est pas forcément un drame. Ça passe ou ça casse! Le tempérament de Manuel Valls n’est pas de contourner l’obstacle. Son intérêt peut être même de l’affronter au plus vite. Le Premier ministre, à la différence du président, a la stratégie de sa politique. L’équilibre brisé dans la majorité, dans le groupe socialiste, au sein du parti, peut-il l’être aussi, demain, au cœur de l’exécutif?