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Feu sur les primaires !

Feu sur les primaires !

Lorsqu’elle a été mise en place pour la première fois, en 2011, la procédure de la primaire a suscité plus de doutes que de franches louanges. On lui reprochait trois choses, essentiellement. La première était d’être, comme disait alors Jacques Attali, «une machine à perdre» tout juste bonne à exacerber les passions et donc à produire l’inverse de ce qu’elle prétendait. Plutôt que d’être une procédure d’arbitrage, la primaire était, pour ses contempteurs de cette espèce, une invention diabolique dont l’unique résultat allait être de détruire l’unité du parti qui l’organisait – le PS en l’occurrence – et de ruiner du même coup les chances d’élection de son candidat à la présidentielle.

D’autres, à gauche, tel le politologue Rémi Lefebvre, faisaient à la primaire le procès d’être l’instrument d’une nouvelle avancée de la démocratie d’opinion aux dépens de la démocratie partisane. Ils expliquaient que cette compétition allait être nécessairement le champs clos d’ambitions personnelles, attisées par le jeu des sondages et libres de la moindre dimension programmatique. Au sérieux du militant allait ainsi succéder la légèreté du supporter, comme si le destin de la primaire était d’achever l’œuvre, jugée néfaste, de la Cinquième République.

Enfin, à droite plus particulièrement, certains, tel le ministre de l’Intérieur de l’époque, Claude Guéant, accusaient les promoteurs de la primaire d’attenter aux règles les mieux établies de la démocratie en obligeant chacun à révéler au grand jour ses préférences partisanes. Ils pointaient ainsi le risque de voir les listes d’émargement, établies lors du vote, devenir demain des fichiers au service d’une mise en surveillance généralisée des citoyens français.

Tous ces reproches n’ont pas totalement disparu du débat public mais ils ont perdu une large part de leur crédit. La raison en est simple. La primaire de 2011 – celle du PS et de ses alliés radicaux – a été l’occasion d’une compétition loyale, maitrisée et argumentée. Les échanges auxquels elle a donné lieu, notamment à la télévision, ont passionné les électeurs. Plus de 2,5 millions d’entre eux se sont mobilisés à chacun des deux tours de scrutin alors qu’on prétendait qu’ils seraient deux fois moins à se rendre aux urnes. Enfin et surtout, le résultat de la primaire a été suffisamment net pour s’imposer à tous. Le vainqueur de la compétition, François Hollande, n’a jamais été contesté par ses anciens rivaux durant la campagne qui a abouti, le 6 mai 2012, à son élection à la présidence de la République. «Ce coup d’essai fut un coup de maître», ont pu écrire, à chaud, ceux qui, autour du think tank Terra Nova, en avaient été les principaux promoteurs.

Cinq ans après, alors que la droite s’y est ralliée et que le PS s’y prépare à son tour bien que le Président sortant soit issu de ses rangs, on aurait donc pu penser que la primaire serait désormais incontestable et incontestée. Il n’en est rien. Ceux qui rejettent cette procédure de sélection ont simplement changé d’angles d’attaque. Hier, ils argumentaient en dénonçant ses travers possibles. Aujourd’hui, il s’appuient sur ses défauts qu’ils estiment avérés.

Les uns, tels Nicolas Dupont-Aignan, estiment que la primaire instaure le règne de «la magouille» et «des combinaisons» avec pour seul effet de réduire le choix des électeurs en remettant la compétition présidentielle entre les mains des partis. D’autres à la gauche de la gauche, tel Alexis Corbière, prétendent que la primaire rétablit, de facto, le suffrage censitaire en ne mobilisant qu’une fraction de la population, la plus aisée, la plus instruite, bref la moins prompte à contester l’ordre établi. Enfin, certains, tel Emmanuel Macron, jugent que cette procédure d’apparence démocratique n’est qu’un jeu de dupe qui, plutôt que de favoriser le renouvellement de l’offre politique, ne sert en fait qu’à conforter dans son être un système pourtant arrivé au seuil de la rupture.

Ces arguments, souvent contradictoires, sont-ils plus sérieux que ceux qu’on servait avec une égale assurance en 2011 et qui sont tombés d’eux-mêmes au lendemain d’une compétition qui les démentait entièrement ? Reprenons-les ici un par un.

La primaire signe-t-elle le grand retour des partis dans une compétition présidentielle censée leur échapper ? Ceux qui soutiennent cette thèse veulent croire que l’élection du président de la République au suffrage universel est, par essence, la rencontre d’un homme et d’un peuple, ainsi que l’avait imaginé Charles de Gaulle. Ils oublient au passage qu’il y a belle lurette que la sélection des présidentiables est l’affaire privilégiée des grands partis de gouvernement. Ils font mine surtout de croire que la primaire est une obligation alors qu’elle n’est qu’une convention.

Cette procédure ne concerne que ceux qui veulent bien s’y soumettre. Personne n’est obligé d’y participer. Elle régule les ambitions rivales à l’intérieur des partis qui l’organisent. Elle modifie les règles de sélection en leur sein en offrant aux sympathisants ce qui était hier le privilège de leurs militants, voire de leurs principaux dirigeants. Elle offre une légitimité supplémentaire au candidat ainsi désigné. Mais en droit, elle ne modifie en rien les modalités qui, concrètement, permettent à quiconque de se présenter dès lors qu’il a recueilli cinq cents parrainages d’élus. La primaire pour le dire autrement, est sans doute l’affaire des partis mais cela ne signifie pas pour autant que la présidentielle soit devenue, plus qu’avant, leur chasse gardée exclusive. Le prétendre, c’est confondre un filtre relevant du règlement interne et une sélection relevant de la loi.

La primaire rétablit-elle une forme de suffrage censitaire ? Il est en effet avéré que cette compétition intéresse en priorité une catégorie spécifique d’électeurs. On a pu le constater en 2011. On le vérifie aujourd’hui dans les sondages. A gauche, comme à droite, ce sont les citoyens dotés d’un patrimoine financier ou culturel, qui se disent prêts à participer avec le plus d’entrain au choix du champion de leur camp. Mais là encore, ne retrouve-t-on pas, avec la primaire, des distorsions qui sont propres à toute élection? À la présidentielle aussi, les inclus votent davantage que les exclus qu’ils soient jeunes, pauvres, peu éduqués ou les trois à la fois.

«Le cens caché», comme disait le politologue Daniel Gaxie dans un livre publié il y a de cela plus de quarante ans, est un travers de la démocratie élective. La primaire le reproduit mais il ne le crée pas. Encore faut-il d’ailleurs s’entendre sur la signification exacte de cette expression. Le cens – le vrai – place le vote sous conditions de ressources. Avec lui, seuls ceux qui disposent d’un revenu conséquent sont en droit de devenir électeurs, comme ce fut longtemps le cas avant que la République finisse par accepter la loi du suffrage universel.

Or le cens caché a ceci de particulier qu’il n’est pas dicté par la loi mais par le comportement différentiel des électeurs. L’invoquer pour délégitimer la procédure des primaires, c’est comme si l’on contestait le principe même du vote au seul motif que certains y participent davantage que d’autres. Il n’est guère étonnant de retrouver pareil argument sous la plume d’auteurs qui s’inscrivent dans une tradition d’extrême-gauche, hostile, par construction, aux règles de «démocratie formelle». Ceux-ci seraient toutefois plus convaincants, dans leur critique de la primaire, si le candidat qu’ils soutiennent – Jean Luc Mélenchon pour ne pas le nommer – avaient su montrer, lors de précédentes élections, une capacité réelle de mobilisation des exclus de la société française et non des seuls bataillons de la petite fonction publique.

Enfin, là encore, il convient de ne pas faire croire que la primaire – qui n’est pas sans défauts – empêche l’expression d’une offre politique différente ou même dissidente. Pour échapper aux règles qu’elle édicte, il suffit simplement de ne pas y participer. Cette liberté-là peut être contestée au nom du principe de responsabilité dans un paysage politique dominé par la droite et le FN. Mais elle ne peut être remise en cause du seul fait que d’autres, à gauche, ont choisi leur candidat selon une procédure à laquelle on n’entend pas adhérer.

Reste un dernier argument qui veut que la primaire soit l’ultime ruse d’un système aux abois et qui, à travers elle, essaye, selon la formule consacrée, «de tout changer afin que rien ne bouge». Emmanuel Macron le reprend à son tour comme si, dans le film de la prochaine présidentielle, il devait tenir le rôle du jeune aristocrate, séduisant, voyou et cynique, qui fut autrefois, dans Le Guépard, celui d’Alain Delon. Il y a toutefois quelque chose de paradoxal dans cette critique de la primaire. Ce qu’on lui reproche est précisément l’objectif qu’elle revendique haut et fort. Cette procédure, dans son principe même, vise à réguler davantage un système usé qui, au fil des élections, a perdu de son efficacité en se soumettant au pur jeu des ambitions rivales et des aventures personnelles.

La primaire a ceci de particulier qu’elle permet à la fois l’expression de ces ambitions sans que celles-ci débouchent nécessairement sur une candidature effective. Elle fait bouger le curseur de la sélection au sein des partis politiques qui s’y soumettent. Ce qui, à gauche notamment, se jouait dans le cadre des congrès par le biais des motions est désormais arbitré par le vote des sympathisants. Est-ce mieux ? Est-ce moins bien ? Libre à chacun de se faire son opinion mais il est faux de prétendre que la primaire participe, dans son essence, à l’inflation des égos qui ne l’avait pas attendu pour se manifester sans fard. Pour ne prendre qu’un seul exemple, Nicolas Sarkozy, qui dit si bien l’époque et ses tares, n’est pas un produit de primaire. Il s’est imposé sans elle en 2007. Peut-être échouera-t-il à cause d’elle en 2017.

Il y avait autrefois des écuries présidentielles. Il y a désormais des candidats affichés qui mènent ouvertement campagne, sous le regard plus ou moins intéressé des Français, et qui acceptent de se soumettre au verdict des électeurs de leur camp. C’est un mode de sélection différent qui présente sans doute nombre d’inconvénients : personnalisation extrême, surenchères, violence des échanges… Mais qui peut dire que le système antérieur était exempt de tout reproche ? S’il avait été si parfait, on ne voit vraiment pas pourquoi il n’aurait pas été conservé en l’état.

Enfin, on ne peut pas reprocher à la primaire à la fois de libérer jusqu’à l’absurde des ambitions sans objet et d’empêcher le renouvellement de l’offre politique. Ou c’est l’un, ou c’est l’autre. Ca ne saurait être les deux à la fois. En 2011, par exemple, c’est la primaire qui a permis l’émergence d’Arnaud Montebourg et de ses idées. Qui peut dire que sans elle, la voie de Bruno Le Maire se ferait entendre aujourd’hui avec autant de force ? En tous cas, si le critère est celui d’une offre différente, moins dépendante des partis politiques traditionnels, mieux vaudrait, avant de faire le procès de la primaire, expliquer, là encore, en quoi le système antérieur l’avait davantage favorisée.

Le pari d’Emmanuel Macron est que l’aspiration à un renouvellement complet des clivages politiques et de ceux qui l’incarnent est désormais suffisamment puissant pour qu’une procédure particulière ne puisse venir la brider. On reconnaitra qu’il est quand même curieux de se montrer aussi confiant quand il s’agit de faire bouger les lignes de la présidentielle et aussi méfiant lorsqu’il est question de modifier celles, pourtant moins rigides, de la primaire.

À cela, il n’y a qu’une seule explication possible qui vaut d’ailleurs autant pour Emmanuel Macron que pour Jean-Luc Mélenchon et, dans une moindre mesure, pour Nicolas Dupont-Aignan. Ce qu’ils contestent dans la primaire, chacun dans un registre différent, ce n’est pas ses défauts supposés mais les qualités qu’on lui prête. Cette procédure vise à stabiliser un système qu’ils veulent, au contraire, faire turbuler avant de l’abattre. Ils rejettent la primaire autant que celle-ci les rejette. En ce sens, ils n’y ont pas leur place et c’est à juste titre, de leur point de vue, qu’ils s’en écartent en reprenant une liberté que personne d’ailleurs ne peut leur contester. Tous les trois dans leur démarche font preuve d’un tempérament assez bonapartiste. C’est le côté farce de leur aventure. Ils disent vouloir changer le système de la Cinquième République. En fait, ils le ramènent à ses origines.

La première version de cet article a été publiée le 7 septembre 2016 sur Challenges.fr