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Déchéance : bonnes questions et mauvaises réponses

Déchéance : bonnes questions et mauvaises réponses

Mis en ligne lundi 28 décembre sur Challenges.fr, l’article que l’on republie ci-dessous – allégé de quelques petites erreurs factuelles ou de fautes d’orthographe… – a suscité un grand nombre de commentaires et de réactions. Ce qui, avouons-le, était bien l’objectif recherché. La question de la déchéance et, au delà, celle de l’état d’urgence, agitent les passions. Le commentaire dominant reste très défavorable aux initiatives de François Hollande et Manuel Valls. Il n’est donc guère étonnant qu’un papier à contre-courant, concluant au manque de rigueur des contempteurs de l’exécutif, soit plus remarqué que les autres allant en sens inverse.

Les critiques qu’il a suscité en retour sont à la fois logiques et légitimes. Dans le contexte, il est intéressant de les discuter unes à unes. Certaines disent le climat dans lequel se déploie aujourd’hui, en France, le débat politique et intellectuel. D’autres, qui sont de fond, permettent d’avancer sur le chemin non pas de la vérité – restons raisonnables ! – mais de l’honnêteté minimale sur des questions qui touchent à l’essentiel du pacte républicain.

Commençons pour une fois par le secondaire. À peine mis en ligne, le 28 décembre au matin, ce texte a été accusé, pour faire court, d’avoir été dicté par le Président et surtout par son Premier ministre. «Valls lâche ses communicants» a ainsi tweeté Laurent Mauduit. Pourquoi pas ses chiens, tant qu’il y est ! Ce faisant, la plume-vedette de Mediapart a assuré à nos arguments une heureuse publicité. Il est toutefois étonnant que le même puisse s’élever contre la déchéance de la nationalité en pratiquant illico, sans autre forme de procès, la déchéance journalistique.

Toute personne qui ose ne pas partager l’opinion de Laurent Mauduit ne saurait conserver sa carte de presse. Quiconque aboutit à des conclusions qui sont celles de tel ou tel responsable politique, révèle du même coup une complicité stipendiée. Tout cela révèle un caractère et – qui sait ? – d’anciennes habitudes.

Dans cette même veine, Vincent Coquaz, d’Arrêt sur Images, s’est montré plus subtil et surtout plus cohérent. Le site auquel il collabore est à la presse ce que les «bœufs carottes» de l’IGPN sont à la police. C’est un genre. Il se respecte. Vincent Coquaz, dans son enquête, voulait savoir par quelle curieuse coïncidence un texte mis en ligne un lundi à 8 heures du matin pouvait bien développer des arguments parfois comparables à ceux de Manuel Valls sur son compte Facebook, le même jour à 10 heures.

À ce questionnement essentiel, j’ai tenté de répondre que le texte mis en cause avait été rédigé le jour de Noël – on a les loisirs qu’on veut ! – avant d’être adressé à Challenges.fr le lendemain matin et d’être mis en ligne deux jours plus tard pour des raisons que tout salarié respectant le repos dominical comprendra aisément. Pour vérifier cela, il suffisait de venir consulter mon ordinateur.

Par respect sans doute de la confidentialité de mon outil de travail, Vincent Coquaz n’a pas voulu procéder à ce petit contrôle. Dommage, en revanche, que sous sa plume, cet échange – courtois au demeurant – ait été résumé de manière définitivement soupçonneuse : «François Bazin raconte….». Dommage surtout que Laurent Coquaz n’ai pas voulu comprendre qu’en parlant de «symbole», je ne préparais pas l’argumentaire de Matignon et cela pour une raison simple que chacun peut vérifier d’un seul clic.

Manuel Valls a toujours expliqué qu’à ses yeux, la déchéance de nationalité pour certains terroristes avait une portée symbolique et c’est précisément cet argument que j’ai voulu examiner dans mon texte qui, en ce sens, est une manière… d’arrêt sur images. Là encore, on peut contester les conclusions auxquelles j’aboutis. Mais au nom de quoi peut-on reprocher à un journaliste d’exercer son libre droit d’expertise ?

Quand on se livre à cet exercice, il est inévitable de partager les conclusions de tel ou tel, sauf à se croire exceptionnel – ce qui n’est pas mon cas. Si j’avais écrit l’inverse, si j’avais condamné le principe de la déchéance, aurait-on dit que j’étais le perroquet ou le poisson-pilote de Martine Aubry, Jean-Luc Mélenchon, Benoit Hamon, Cécile Duflot ou de tant d’autres encore ?

Mais puisque l’heure est aux procès – fussent-ils d’intention –, autant faire le travail tout seul sans attendre les censeurs de la profession. Dans les arguments de ceux qui s’opposent aux projets de François Hollande et Manuel Valls, il en est un qui tient la route et qui, à ce titre, mérite d’être examiné plus précisément que je n’ai pu le faire à chaud.

Certes les Français ne sont pas égaux devant la déchéance puisqu’une partie des binationaux – ceux qui sont nés étrangers – peuvent être frappés de cette peine depuis belle lurette. En ce sens, son extension aux binationaux nés en France ne constitue pas la rupture que certains prétendent. Mais, en même temps, l’extension d’une mesure, qu’elle qu’en soit la nature, efface-t-elle du même coup son caractère inégalitaire ? Il est incontestable, en tous cas, que pour toute une partie des Français qui sont potentiellement concernés par la réforme constitutionnelle voulue par l’exécutif, il y a là une difficulté majeure, vécue comme un soupçon ou, a minima, comme une manière de stigmatisation.

Ce qui en droit, n’est pas une rupture, peut être ressenti comme une nouvelle forme d’exclusion. Ce constat ne saurait être évacué d’un trait de plume. Comme l’écrivent Jean-Pierre Mignard et Anne Hidalgo dans une tribune publiée dans le Monde du 30 décembre, «la fonction de tout symbole est de réunir et de ne jamais diviser».

On notera au passage que l’un des signataire de ce texte est un ami du Président et de son Premier ministre tout en étant l’un des avocats de… Mediapart. Ce qui devrait convaincre les déterministes de tout poil qu’il ne suffit pas de consulter les cartes d’identité des uns et des autres pour deviner à l’avance le sens de leurs interventions. Mais là n’est pas l’essentiel.

La question que soulèvent Jean-Pierre Mignard et Anne Hidalgo est celle du droit et de l’égalité dans le contexte particulier d’une agression terroriste menée au nom d’une puissance étrangère. La France, par la voix de François Hollande, a déclaré que face à une pareille menace, la seule réponse était l’unité de la Nation dans la guerre contre Daesh. Le Parlement l’a suivi sur cette voix en autorisant des frappes militaires aériennes sur la Syrie. Une coalition internationale est en train de se former vaille que vaille contre cet État autoproclamé qui se dit islamique. Elle vise à sa destruction et à l’élimination de ceux qui se battent en son nom tout en étant, pour certains, des ressortissants français, binationaux ou non.

Vu sous cet angle, la République traite ses ennemis sans faire de distinction. Elle a aboli la peine de mort mais quand elle fait la guerre, elle bombarde pour tuer sans complexe. Il n’y a à cela rien d’illégitime et il ne viendrait à l’idée de personne de contester la mise entre parenthèse de certains principes dans un contexte où le salut public fait loi. Quel rapport, dira-t-on, avec la déchéance de la nationalité ? Aucun sauf qu’il y a quelque chose d’intellectuellement paradoxal à vouloir traiter les terroristes en bloc, sans distinction d’origine, lorsqu’on les élimine et de les distinguer, en fonction de leur nationalité, lorsqu’on entend les juger.

Dans leur tribune au Monde, Jean-Pierre Mignard et Anne Hidalgo n’entrent pas directement dans ce débat-là mais il suffit de les lire pour comprendre que tout les y ramène. Pour que l’égalité retrouve sa place, au sein de la République, ils suggèrent que, demain, la loi prévoit une peine d’indignité nationale – donc de déchéance des seuls droits civiques – pour tous les citoyens français, qu’ils soient ou non binationaux, convaincus d’avoir organisé des attentats terroristes.

Ce faisant, ils répondent à la double ambition à laquelle ils prétendent : la recherche d’un symbole infamant contre les ennemis de la République et la préservation d’un principe égalitaire qui ne creuse pas des failles supplémentaires au sein de la communauté nationale. Mais n’y a-t-il aucune autre solution pour atteindre cet objectif ?

On connaît l’argument opposé à quiconque envisage une déchéance de nationalité élargie à l’ensemble de nos concitoyens convaincus de terrorisme. Dès lors que le droit international interdit de créer des apatrides, on ne peut déchoir, dit-on, un Français, né en France et n’ayant acquis aucune autre nationalité. Mais précisément, n’est-ce pas aussi le propre de tout Français ayant fait allégeance à Daesh que de revendiquer une nouvelle nationalité et que d’être ainsi, de fait, un binational affiché ? Certes la France ne reconnaît pas juridiquement l’existence de l’État islamique. N’empêche que si elle lui fait la guerre afin de le détruire, c’est bien qu’il existe quelque chose qui y ressemble et que les terroristes sont d’ailleurs les premiers à revendiquer.

On ne s’engagera pas ici dans un débat où les juristes ne parlent pas tous d’une même voix et qui porte sur les réserves émises, de longue date, par la France sur la question des apatrides. Reconnaissons simplement que si certains citoyens dits français se revendiquent comme tel, c’est donc qu’il n’est pas impossible de revendiquer une autre nationalité – celle de l’État islamique en l’occurrence – avec les conséquences que cela entraîne lorsque l’on devient terroriste.

La ligne Mignard/Hidalgo est cohérente, égalitaire et par la même respectueuse du rassemblement républicain. C’est celle de l’indignité pour tous les terroristes. Il y en a une autre qui en est le pendant. C’est celle de la déchéance pour tous les mêmes. On devine aisément la tempête qu’elle risque de soulever chez les juristes. Est-ce une raison pour ne pas l’examiner en pratique à partir du moment où, tant que la révision constitutionnelle voulue par l’exécutif n’aura pas été votée, la règle que chacun accepte sans trop y réfléchir est celle de l’élimination physique pour les ennemis de la République ?

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Une fraction notable de la gauche politique, journalistique et intellectuelle se déchaîne contre François Hollande depuis qu’il a décidé d’inclure la déchéance de nationalité dans son projet de révision constitutionnelle. En novembre dernier, au lendemain des attentats, lorsque le Président avait avancé cette idée lors de son intervention devant le Congrès, à Versailles, cette même gauche avait toussé, sans utiliser toutefois les mots et les références qui lui servent aujourd’hui pour dire son indignation. Sans doute pensait-elle qu’après le temps des coups de menton, viendrait nécessairement celui de la reculade. Elle s’est trompée et cela contribue à sa colère. Une fois encore, François Hollande lui échappe et du même coup, le voilà décrit par les mêmes, jours pairs comme un ectoplasme incapable de la moindre constance, jours impairs comme le destructeur implacable des valeurs les plus sacrées de son camp.

La gauche anti-hollandaise cultive de longue date ce genre de contradictions qu’elle surmonte par un usage à haute dose de l’hyperbole et du tocsin. À chaque étape du procès qu’elle intente au chef de l’État, c’est l’Histoire qui est convoquée à la barre et, avec elle, la République et le Progrès réunis. Le récit qu’elle entend imposer est celui d’un inéluctable avilissement qui conduit l’accusé, marche après marche, sur le chemin du déshonneur et bientôt de la déroute.

Cela a commencé avec le pacte de compétitivité, symbole d’une politique jugée trop favorable aux entreprises – horresco reference –. Cela s’est poursuivi avec la loi Macron et ces quelques dimanches que de vrais républicains entendaient réserver au seul jour du Seigneur. Cela s’achève aujourd’hui dans cette noire apothéose qui, à travers le sort bientôt réservé à quelques terroristes avérés, signe, paraît-il, le ralliement de François Hollande aux idées de Pétain (version Edwy Plenel) ou de Hitler (version Henri Leclerc) tandis que le quotidien progressiste italien, Il Manifesto, se contente – si l’on ose dire – d’un titre de Une d’une rare subtilité («François Le Pen») surtout quand on sait que le droit de la nationalité, de l’autre côté des Alpes, est celui… du sang.

Dans cette affaire, une fois encore, ce qui frappe le plus est le décalage complet entre la violence de la charge et la nature réelle d’un dossier suffisamment délicat pour qu’on veuille bien l’aborder avec un minimum de cohérence et – rêvons un peu – une once d’honnêteté intellectuelle. S’agissant de la réforme constitutionnelle, François Hollande et son Premier ministre expliquent notamment que la déchéance de nationalité est avant tout un symbole destiné à marquer la détermination de la Nation face aux agressions dont elle est l’objet. Ils ajoutent qu’en intégrant l’état d’urgence à la loi fondamentale de la République, ils complètent et sécurisent un dispositif de nature exceptionnel dont l’unique fonction est de protéger le pays lorsqu’il est en danger.

Tout cela peut – et doit – être discuté tant sur le plan des principes que de l’efficacité. Mais encore faudrait-il que dans ce débat-là, on évite d’utiliser des arguments qui, en se percutant les uns les autres, privent du même coup l’opinion des éclaircissement qu’elle est en droit d’exiger. Commençons ainsi par la question de la déchéance qui, à l’évidence, concentre l’essentiel de la polémique en cours.

Cette peine, infligée à des citoyens français convaincus de terrorisme et condamnés à ce titre, créerait, selon certains, une inégalité destructrice de l’ordre républicain. À partir du moment où le droit international interdit de créer des apatrides, seuls, en effet, les binationaux pourraient être frappés par une telle mesure. L’argument est recevable mais à un détail prés. Cela fait bien longtemps que la loi autorise, sous le contrôle du Conseil d’État, la déchéance de citoyens étrangers ayant acquis la nationalité française. De ce point de vue, les enfants de la République ne sont donc pas placés sur un pied d’égalité et les projets de François Hollande n’introduisent aucune rupture en la matière, au moins sur le plan des principes.

À cela, les contempteurs du Président répliquent que la nouveauté n’est pas la déchéance dont certains pourraient être l’objet alors qu’elle serait impossible pour d’autres, mais dans l’attentat perpétré contre ce qu’on appelle le droit du sol. De fait, le projet de François Hollande consiste bien à permettre que des binationaux, nés en France, puissent être désormais privés de ce qui constitue l’essence de leur citoyenneté. Il y a là les éléments d’une évolution notable dans la tradition du droit français. Est-ce pour autant une atteinte aux principes de la République ?

Entre le droit du sol qui détermine que toute personne née en France est présumée être française et le droit du sang qui lie la nationalité à celle des parents, le pays a beaucoup hésité au cours de son histoire. Il ne s’est vraiment rallié à la première solution qu’aux débuts de la Troisième République. Sauf à raisonner de manière binaire et primaire à la fois en expliquant que le droit du sol, c’est la République incarnée et le droit du sang, le racialisme absolu, il faut pourtant admettre que toutes les grandes démocraties ont élaboré, en tâtonnant, un droit de la nationalité en fonction de critères qui portent essentiellement sur la nature de leur peuplement, avec d’un côté les pays de forte immigration et de l’autre, ceux d’émigration puissante. Sur ce sujet, Patrick Weil, pourtant opposé au projet hollandais, a écrit des choses définitives auxquelles on peut se référer aisément pour peu qu’on accepte de ne pas confondre l’histoire et ses mythes.

Tant qu’à invoquer, par ailleurs, les grands principes qui seraient propres à la République française, ne faudrait-il pas également remonter aux sources, c’est à dire à la Révolution, et admettre que, face à l’exigence du «salut public», ce n’est pas d’une main tremblante que nos ancêtres ont procédé à la plus grande entreprise de déchéance de notre histoire contemporaine – contre des émigrés, pourtant nés français, en l’occurrence – au seul motif que leur comportement contre-révolutionnaire les excluaient de facto de la communauté nationale ? Si la révolution, comme disait Clémenceau, est un bloc, la République est une construction où les exigences du droit en ont souvent rencontrées une autre qui est précisément celle de la guerre. Pourquoi ne pas le reconnaître au moment même où les circonstances en font à nouveau la démonstration ?

En tous cas, dire Vichy et taire 1791 puis le robespierrisme lorsqu’on se prétend républicain, ce n’est pas faire l’Histoire mais se raconter des histoires. Or c’est pourtant dans ce jeu de références que les adversaires de François Hollande, surtout quand il se disent de gauche, aiment à se lancer sans complexe. Ce faisant, ils truquent plutôt que d’argumenter. On peut être opposé, par principe, à la déchéance de nationalité. Mais quand on l’admet, il convient d’être honnête en reconnaissant que seul le motif invoqué pour déclencher cette sanction permet d’en distinguer la véritable nature. Le décret Daladier de 1938, par exemple, visait les faits de haute trahison. Les lois de Pétain visaient essentiellement les juifs. À la Libération, le général de Gaulle a repris l’essentiel de la législation d’avant-guerre pour les faits de collaboration avec l’ennemi. Faut-il pour autant en conclure que ces trois expériences se valent puisqu’elles utilisent les mêmes procédure de déchéances ? Faut-il que les repères soient aujourd’hui troublés pour que certains ne voient pas qu’être déchu parce qu’on est juif, ça n’est pas la même chose que l’être parce qu’on fut collabo’ ?

Dans la panoplie des arguments avancés pour combattre François Hollande, il en est un qui, lui, sort du champ de l’Histoire et du grand récit républicain pour entrer directement dans le débat politique le plus actuel. Le FN l’a proposé, Hollande l’a fait. Donc Hollande se lepénise. CQFD. Derrière cette démonstration, il y a l’idée que la moindre mesure figurant au programme de l’extrême-droite, mérite, pour ce seul motif, d’être combattue avec la plus extrême vigueur. Mais alors, ceux qui, à gauche, se placent sur cette ligne devraient aller jusqu’au bout de leur logique et admettre que si Marine Le Pen prétend se battre pour la souveraineté nationale, si elle combat l’Europe et l’euro, et si elle a été au premier rangs du combat contre le voile dans l’espace public, le devoir des progressistes est d’adopter une position strictement inverse.

Il fut un temps, pas si lointain, où toute référence au patriotisme ou même au drapeau tricolore était considéré, par une partie de la gauche, comme le signe d’une faiblesse coupable à l’égard d’un lepénisme ambiant. Lorsque François Mitterrand, au milieu des années quatre-vingt, a choisi d’apparaître à la télévision avec à son côté les trois couleurs de la République, nombreux ont été ceux qui, dans son propre entourage, ont condamné cette petite innovation qui, à leurs yeux, trahissait une perte de repères ô combien condamnable. Dans un autre registre, un homme comme Jean-Pierre Chevènement a subi tout au long de sa carrière ministérielle pareilles accusations jusqu’à ce qu’on finisse par le ranger, toutes hontes bues, dans le Panthéon de la gauche républicaine.

Or ce sont les mêmes, avec les mêmes arguments qui, aujourd’hui, tirent à vue sur François Hollande sans voir qu’à force d’abandonner au FN des valeurs et des combats que celui-ci se plaît ensuite à pervertir, on place le camp républicain dans une situation intenable où il lui faut combattre ce qu’il devrait pourtant revendiquer. La bataille de la déchéance, qu’on le veuille ou non, relève de cette catégorie et c’est en cela d’ailleurs qu’elle rejoint des combats plus anciens dont on a vu, à travers l’histoire de la République, combien ils méritent d’être lus et relus non pas en agitant des grigris mais en analysant le sens exact qui leur était donné.

Or ce sont les mêmes, avec les mêmes arguments qui, aujourd’hui, tirent à vue sur François Hollande sans voir qu’à force d’abandonner au FN des valeurs et des combats que celui-ci se plaît ensuite à pervertir, on place le camp républicain dans une situation intenable où il lui faut combattre ce qu’il devrait pourtant revendiquer. La bataille de la déchéance, qu’on le veuille ou non, relève de cette catégorie et c’est en cela d’ailleurs qu’elle rejoint des combats plus anciens dont on a vu, à travers l’histoire de la République, combien ils méritent d’être lus et relus non pas en agitant des grigris mais en analysant le sens exact qui leur était donné.

Ces apories successives dans le débat autour de la déchéance expliquent sans doute qu’après avoir invoqué les grands principes tout en les bricolant à loisir, beaucoup aient choisi de redéployer leur argumentaire sur des bases un peu moins ambitieuses. Pour ceux-là, la mesure de déchéance revendiquée par François Hollande aurait pour principal défaut d’être inefficace dans ce qui est sa justification principale, c’est à dire la lutte contre le terrorisme. Dés lors que ceux qui pratiquent des attentats aveugles sont prêts à risquer leur vie pour servir leur cause, n’est-il pas absurde, en effet, de les menacer d’une sanction qui, au fond, les indiffère ?

Raisonner de la sorte, c’est concevoir toute peine comme essentiellement préventive. Ce qui se discute. Mais admettons. À partir de là, on entre toutefois dans un débat qui vire rapidement à l’absurde. Car, face au terrorisme, on peut admettre que l’arme de la déchéance est de faible portée mais alors, il faut aussi reconnaître que toute législation répressive l’est également, quelle qu’en soit la nature. Déchéance, peine de prison ou même – pourquoi pas ! – simple amende, quelle importance ? À ce compte là, même la peine de mort, évoquée par certains, à la droite de la droite, devient un non-sens. Faut-il alors en conclure que, face au terrorisme, la loi – celle qui punit – est, par nature impuissante et qu’il convient donc d’arracher toutes les pages du code pénal concernant ceux qui s’y livrent ? Or, jusqu’à preuve du contraire, personne, même dans les rangs les plus anti-hollandais de la gauche, n’est allé jusque pareille extrémité. Et pour cause !

Résumons. La déchéance, telle qu’elle est proposée par François Hollande, n’innove pas en créant deux catégories de Français. Elle marque une évolution du droit de la nationalité mais en aucun cas une rupture sèche avec la tradition républicaine. En ce sens, elle ne se résume pas à un ralliement aux thèses du FN. Elle complète enfin un dispositif de protection dont le but est de punir et non pas d’empêcher. Quand on met bout à bout arguments et contre-arguments, on voit ainsi que la seule question qui vaille, à propos de la déchéance, est précisément celle que soulève François Hollande. L’introduction de cette disposition dans la Constitution est d’abord un symbole. Est-il adapté ou non à la situation du moment ? Est-il ou non indispensable pour renforcer la communion des Français autour des valeurs républicaines ?

Tout cela se discute et c’est d’ailleurs ce que le Conseil d’État a déjà fait, en droit pur, lorsque le gouvernement lui a soumis ce dossier. Il appartient désormais au Parlement d’en délibérer librement, sur le terrain politique. C’est en ce sens que le débat sur la déchéance et celui sur l’état d’urgence méritent d’être étroitement liés. Il est d’ailleurs assez logique que les opposants qui, à gauche, se dressent contre l’une et contestent l’autre, soient également opposés la constitutionnalisation de ces deux mesures. Dans cette bataille contre François Hollande, les angles d’attaque ne sont pas tous de même nature mais ils révèlent de semblables contradictions qui tiennent pour l’essentiel à une conception hasardeuse tant du droit républicain que des valeurs de la gauche dés lors qu’ils sont confrontés à des situations pratiques qui sont l’essence même de la politique.

À travers le débat sur l’état d’urgence et son inscription dans la Constitution, on voit ainsi réapparaître des arguments qui affleuraient déjà autour de la question de la déchéance. On n’en fera pas ici la liste complète mais on peut quand même en signaler quelques uns au passage, tant ils sont significatifs. Le premier est celui de la «main tremblante» avec laquelle, selon Montesquieu, il faudrait aborder des affaires aussi graves. Légiférer ou, pis, modifier une loi fondamentale, sous le coup de l’événement et donc de l’émotion serait, dit-on, une faute majeure. Mais l’exigence du changement ou de l’adaptation, en la matière, a-t-elle jamais échappé à une forme d’urgence, elle-même dictée par l’événement ?

En matière constitutionnelle, faut-il rappeler que la première et la seconde République sont le fruit de révolutions. Que la Troisième est née au lendemain d’une défaite militaire. Que la Quatrième est l’enfant de la Libération et que sans le 13 mai 1958, à Alger, la Cinquième n’aurait pas vu le jour. En matière d’événement et d’émotion, on a rarement fait mieux et il faudrait qu’aujourd’hui, après des attaques terroristes d’une ampleur inégalée, on s’interdise de toucher à la Constitution précisément parce que tout y conduit ! À ce compte-là, autant décréter que la réforme constitutionnelle n’est possible qu’à condition de ne pas être nécessaire.

Un autre argument avancé contre l’état d’urgence est celui de la supériorité intrinsèque de la justice civile face à la justice administrative dans la défense des libertés publiques. On aura ici la charité de ne pas rappeler combien certaines affaires récentes touchant la Cour de cassation et ses plus hauts magistrats ont redonné, par contraste, au Conseil d’État des allures de vertu qui lui furent longtemps contestées. Et puis surtout, comment ne pas voir qu’au cours de la période contemporaine, les juges administratifs ont su construire une jurisprudence qui vaut largement celle qui inspire les juges civils lorsqu’ils se chargent de faire respecter des lois, au demeurant changeantes. Si on devait faire la liste des bavures et autres manquements aux valeurs de liberté et d’égalité constatés dans la période contemporaine, nul doute que la justice de l’État n’aurait pas à rougir de la comparaison. Mais c’est un constat auquel la gauche du palais et sa presse favorite se refusent avec une obstination un brin corporatiste.

Le plus curieux, pourtant n’est pas là. La constitution de la Cinquième République prévoit des dispositions exceptionnelles liées à des circonstances qui le sont tout autant. C’est l’état de siège qui, en temps de guerre, permet de transférer les pouvoirs de police de l’autorité civile à l’autorité militaire. C’est l’article 16 qui donne les pleins pouvoirs au Président de la République lorsque que «le fonctionnement régulier des pouvoirs» est interrompu. Dans ce dispositif, l’état d’urgence ne relève pour l’instant que de la loi. Votée en 1955, après avoir été préparée par Pierre Mendès France – et non par Guy Mollet, comme on l’insinue régulièrement, pour impressionner –, elle vient d’être révisée par le gouvernement de Manuel Valls, dans un sens parfois plus libéral, notamment en matière de presse.

Dans la hiérarchie de ce droit d’exception, l’état d’urgence arrive au dernier rang pour la double raison qu’il ne figure pas dans la Constitution et qu’il met en œuvre des mesures moins attentatoires aux libertés publiques que l’état de siège ou l’article 16. À partir de là, on peut plaider soit pour un alignement pas le haut, soit pour un alignement par le bas. François Hollande a opté pour pour la première solution en créant, dans la loi fondamentale, un bloc de mesures hiérarchisées en fonction des circonstances qui les imposent. On pourrait à l’inverse juger que ces dispositions n’ont rien à faire dans un texte constitutionnel qui n’a pas à prévoir ce qui, précisément, en suspend l’application. Les deux solutions ont leur logique propre.

La première repose sur l’idée que l’inscription dans la Constitution donne à ces articles un statut particulier qui leur permet d’échapper aux vicissitudes de la vie politique. Changer une loi, sur le papier, est sans doute plus facile que de modifier tel ou tel article d’une constitution. À ceci près qu’un pouvoir autoritaire, par nature, n’est guère légaliste et qu’en pratique, il est parfois moins aisé de réunir une majorité pour changer la loi que de convoquer un référendum pour modifier le texte d’une constitution. Sur ce terrain-là, rien, en tous cas, n’est jamais gravé dans le marbre ad vitam aeternam, ne serait-ce que parce que la volonté populaire peut s’avérer changeante.

La seconde solution – celle du retrait de la loi fondamentale de tout ce qui la conteste – est ni moins logique, ni plus incohérente. Et pourtant, à de rares exceptions, la gauche anti-Hollande, celle qui refuse la constitutionnalisation de l’état d’urgence, ne l’a jamais évoquée depuis que cette question s’est invitée dans le débat public. Au regard de ses propres valeurs, il y a là tous les éléments d’une apostasie de première bourre. Si cette gauche croyait à ce qu’elle dit et si elle ne se laissait pas aveugler par la détestation, elle aurait profité de l’occasion pour retourner contre François Hollande sa supposée manœuvre en exigeant de la réforme constitutionnelle qu’elle évacue cet article 16 qui, depuis les débuts de la Cinquième République, a mobilisé contre lui plusieurs générations de bons républicains.

Dans les combats de la gauche, aucun article n’a été plus contesté que celui-là. À travers lui, c’est l’essence du gaullisme dans ce qu’il a de plus dangereux qui était dénoncée. Utilisé par de Gaulle lors de la fronde des généraux d’Algérie, l’article 16 a pesé sur la vie politique longtemps après avoir été adopté, alors que le nouveau régime avait pourtant trouvé sa stabilité. Il fut même un temps où certains responsables de la droite en préconisaient l’emploi en cas d’élection d’une majorité parlementaire hostile au fondateur de la Cinquième. Ces projets ont passé, sans doute, tandis qu’avec eux, ont disparu des programmes de la gauche, les promesses d’abolition qui faisaient vibrer le cœur des militants. Mais là encore, c’était avant les attentats et avant que le FN ne vienne camper aux portes du pouvoir.

Il faudra un jour que la gauche anti-Hollande explique pourquoi son combat le plus rude contre le Président aura été mené sous le drapeau d’un conservatisme absolu et au nom d’une Constitution prétendument intouchable, alors qu’elle n’a jamais cessé de dire que ce texte portait, en son sein, les valeurs les mieux établies de la droite. Cette absence de réflexe, dans une bataille de mouvement aussi rude, laisse pantois. Peut-être dit-elle surtout une forme de dégénérescence politique et intellectuelle. Cette gauche-là agite des fausses références, cultive des traditions mortes, entretient des mythes qui ne sont même plus mobilisateurs. Pour expliquer son échec, elle a donc besoin d’inventer à jets continus des trahisons qui puissent justifier son impuissance.

Pour cela, François Hollande a le dos large. Rien ne permet d’affirmer qu’il parviendra à ses fins mais qu’il réussisse ou qu’il échoue, la leçon, au fond, sera la même. Quelque chose, à gauche, est en train de s’achever dans l’aigreur de polémiques plus ridicules que nauséabondes. Comme toujours, dans ce genre de circonstances, ce sont les derniers soubresauts qui font le plus de boucan avant que l’Histoire n’aille couler ailleurs.