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Comment la gauche peut redevenir hollandaise

Comment la gauche peut redevenir hollandaise

C’est reparti, ça reparle. À bas de bruit. Sans effets de manches ni communiqués de victoire. Modeste, modeste… C’est le climat du moment. Surtout ne pas se vanter. Si les gauches avancent à nouveau, c’est à petits pas, tels ces grands malades à qui il faut d’abord réapprendre à marcher avant de pouvoir courir à nouveau. Lundi, une délégation du PS, conduite par son premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, a été reçue place du colonel Fabien. Pas de quoi faire un «urgent» sur le fil AFP. N’empêche qu’il y a quelques semaines à peine, c’est le même PC qui avait demandé à ses députés de voter la motion de censure déposée par la droite contre la loi Macron. Aujourd’hui, on rouvre, de part de d’autre, des dossiers bien moins explosifs. Celui des régionales notamment et quand la direction communiste évoque, du bout de lèvres, la possibilité d’accords «défensifs», les derniers «fabienologues» de la création savent bien ce que cela signifie. C’est comme aux cartes quand on demande à voir. Cela veut surtout dire qu’autour de la table, la partie continue…

Avec les Verts, elle se poursuit aussi. Sans tapage. Quand les principaux responsables écolos et socialistes se sont rencontrés, au lendemain des élections départementales, ils ont convenus de mettre en place trois groupes de travail afin qu’ils se mettent d’accord, pour commencer, sur la liste… de leurs désaccords. «Problématiques économiques et sociales», «enjeux environnementaux», «construction d’une République nouvelle» : sur de telles bases, il y a de quoi faire. Mais là encore, l’essentiel est d’abord d’échanger. Sur le fond, cela va de soi… L’idée est de publier avant l’été un premier document de synthèse. En attendant mieux! Chez les socialistes, on n’a pas manqué de noter qu’au sein des dits groupes, toutes les tendances de la maison verte, mêmes les plus hostiles à leur égard, avaient tenu à être représentées. Ce qui, par les temps qui courent, est déjà un petit exploit.

La gauche se contente de peu. Mais ce peu, dans le contexte, c’est déjà beaucoup. Les mots de divorce, de rupture ou même de scission qui faisaient, il y a encore peu, l’ordinaire de ses porte-paroles ont été provisoirement mis au placard. Ou, pour le dire autrement, les mêmes qui imaginaient hier des recompositions autour de nouveaux clivages et qui redessinaient déjà les frontières du camp progressiste, fut-ce au prix de transferts de populations militantes, sont revenus à de meilleurs sentiments. Hier, on jouait aux marges et ce sont donc les minoritaires de toutes obédiences qui menaient la danse avec l’espoir d’être les tauliers de demain. Même si le mouvement reste fragile, ce sont désormais les chefs de partis – Cambadélis, Cosse, Laurent – qui ont repris la main. Ils n’ont aucun intérêt à casser leurs boutiques respectives et c’est dans une esquisse de dialogue qu’ils entrevoient la solution de leurs problèmes internes.

Le ciment, dans ce genre de situation, c’est toujours l’ennemi. Le FN de Marine Le Pen, évidemment, là où danger est le plus fort, aux régionales notamment dans le Nord-Pas de Calais-Picardie, nouveau laboratoire d’une gauche redevenue plurielle. En attendant mieux. Mais pour comprendre les vrais ressorts de ce petit «bouger» qui change tout, à commencer par le climat au sein d’une majorité minée par l’inquiétude et les ressentiments, il faut revenir un instant aux motivations profondes de ceux qui en sont les principaux acteurs, en commençant par les plus triviales.

C’est l’absence d’alternative crédible, à court et moyen terme, qui conforte les partis de gauche dans une configuration inchangée. Les artificiers d’une nouvelle donne avaient fait le pari que le mouvement des frondeurs, dès lors qu’il faisait tache d’huile au sein de l’appareil du PS, allait entraîner une recomposition en cascade du paysage interne de la gauche. Soit que la majorité bascule lors du congrès socialiste de Poitiers, en juin prochain. Soit que le degré de tension, rue-de-Solférino, devienne tel, au fil des débats, que le divorce soit consommé au cœur du parti-pivot du camp progressiste.

À partir de là, en effet, tout devenait possible pour ceux qui, de Duflot à Mélenchon, en passant par Hamon ou Lienemann, rêvaient de rebattre les cartes à l’occasion de la prochaine présidentielle. Non pas qu’ils aient été déjà prêts à se mettre d’accord sur le nom de celui ou de celle dont la candidature viendrait refermer la parenthèse hollandaise et explorer, du même coup, les chemins d’une autre gauche – la vraie! – rendue à sa vérité première. Mais en faisant sauter l’obstacle solférinien, tous estimaient, à juste titre d’ailleurs, qu’une nouvelle page allait pouvoir s’écrire dont ils seraient les principaux rédacteurs. Certains allaient même jusqu’à croire que dans cette clarification, Manuel Valls pourrait être un comparse intéressé.

Cet espoir-là n’est pas encore définitivement refermé puisque le vote des motions, dans les sections socialistes, n’a pas encore eu lieu. Mais à l’évidence, il a perdu de sa force, au moins dans la tête de ceux qui, à l’extérieur du PS, attendaient qu’on tire pour eux les marrons du feu. A l’heure du bilan, il faudra pointer la responsabilité centrale de Martine Aubry dans cette grande déception. La maire de Lille n’a pas voulu jouer le rôle qu’on attendait d’elle. Elle a offert à François Hollande la bouffée d’oxygène que celui-ci espérait lorsqu’en décembre dernier, elle est venu lui dire qu’elle soutiendrait, jusqu’au bout et quoiqu’il arrive, sa nouvelle candidature, en 2017. Sans son soutien, l’actuelle majorité du PS, autour de Jean-Christophe Cambadélis aurait-elle sauvé sa peau ? L’ex-marraine des frondeurs avait-elle vraiment entre les mains l’arme de destruction massive que ses amis prétendaient ? Par définition, on ne le saura jamais. Mais, en tous cas, Martine Aubry a contribué, bon gré mal gré, à la sauvegarde du système, ne serait-ce qu’en raccrochant au nez de tous ceux qui voulait le détruire.

Les effets de ce renoncement a eu, en ricochet, les effets immédiats que l’on sait. C’est ainsi que Cécile Duflot a fini par comprendre que dans l’espace réduit qui lui restait alors, elle prenait un risque majeur en poursuivant sur une ligne qui conduisait son propre parti à exploser en plein vol. À force de spéculer sur l’hétérogénéité mortifère du PS, elle avait oublié que sa propre boutique était un nid de vipères. Pour recomposer la gauche, dans ces nouvelles conditions, elle n’avait pas d’autres solution que de toper avec Jean-Luc Mélenchon, alors que celui-ci n’avait aucunement l’intention de lui céder, d’ici 2017, son rôle favori de procureur en chef du hollandisme présidentiel.

Les effets de ce renoncement a eu, en ricochet, les effets immédiats que l’on sait. C’est ainsi que Cécile Duflot a fini par comprendre que dans l’espace réduit qui lui restait alors, elle prenait un risque majeur en poursuivant sur une ligne qui conduisait son propre parti à exploser en plein vol. À force de spéculer sur l’hétérogénéité mortifère du PS, elle avait oublié que sa propre boutique était un nid de vipères. Pour recomposer la gauche, dans ces nouvelles conditions, elle n’avait pas d’autres solution que de toper avec Jean-Luc Mélenchon, alors que celui-ci n’avait aucunement l’intention de lui céder, d’ici 2017, son rôle favori de procureur en chef du hollandisme présidentiel.

À ce jeu, les pièces des uns et des autres ne pouvaient que rester en l’état avec un PS sauvé au bord du gouffre, des écolos tétanisés par l’ampleur de leurs divisions, un PC désespéré de ne pas trouver d’alternative crédible au mélenchonisme de ses troupes et enfin, pour que le tableau soit complet, des radicaux de gauche décidément incapables de tourner la page Baylet et de servir de réceptacle aux clubs et autre micro-partis qui encombrent l’espace du réformisme modéré. Tous blessés, tous affaiblis, tous meurtris d’une manière ou d’une autre sans que la hiérarchie de leurs forces respectives puisse être remise en question : c’est dans ces conditions que les chefs de partis ont retrouvé leurs marques et leurs vieilles habitudes. Pour faire la démonstration de leur utilité, quelle autre solution que d’organiser, ne serait-ce qu’a minima, ce dialogue au sommet dont nul ne sait encore sur quoi il débouchera mais qui, au moins, a le mérite d’exister ?

Aujourd’hui, on en est là. Il y a, dans les cartons des uns et des autres, des projets encore fumeux pour des rendez-vous à venir, des meetings communs, voire des embrassades publics dont la gauche a le secret quand elle veut mettre en scène son unité branlante. Les plus volontaristes, au PS notamment, ne désespèrent pas de retrouver le chemin d’une fédération que la SFIO moribonde, au milieu des années soixante, avait su emprunter avant que l’heure du renouveau ne sonne au congrès d’Epinay. Tout cela est encore loin, très loin. Ces projets réveillent plus de souvenirs que d’espoir. Ils disent surtout les réflexes d’une génération, adepte du mécano politique.

Celle-ci sait mieux que quiconque qu’un cycle se referme qu’il va bien falloir remplacer par un autre, sauf à venir s’échouer sur la sable, telle un troupeau de vieilles baleines. Comment, avec qui, sur quelle ligne? Avant d’en discuter vraiment, il va falloir qu’à gauche, on sache surmonter une sommes inégalées de détestations et de rancœurs. Mais les débats qui s’esquissent, au fil des réunions de ce printemps 2015, montrent surtout quelle sera la tonalité dominante de la seconde partie du quinquennat hollandais, dés lors qu’on a compris que, pour tous, le vrai rendez-vous est celui de 2017 et que la clé du succès est dans un rassemblement suffisamment large pour éviter une élimination, dès le premier tour, laissant le champs libre à un affrontement entre le droite et l’extrême droite.

On a pu croire, il y a quelques semaines, avant les élections départementales, que ce rassemblement commencerait à se concrétiser lors d’un remaniement de pur affichage ouvrant la porte du gouvernement à une poignée d’écolos ou à quelques frondeurs plus ou moins repentis. Cette opération avait en fait quelque chose d’un peu frustre. Elle ouvrait la voie à des ruptures, notamment chez les Verts, qui ne sont plus de saison. Son intérêt, au fond, était assez mince vue la nature de l’enjeu, dans la perspective de la prochaine présidentielle. Elle pouvait stabiliser la majorité parlementaire. Mais elle n’ouvrait aucune perspective sérieuse pour quiconque réfléchit au delà de l’urgence. Peut-être viendra-t-elle, un jour ou l’autre mais, alors, comme accompagnement ou simple conclusion d’un processus beaucoup plus ambitieux.

Au moment où François Hollande, avec un surprenant optimisme, fête le troisième anniversaire de son élection, la politique pure est en train de reprendre ses droits. Du coup, les plaques se remettent à bouger ailleurs que dans la sphère gouvernementale. Non pas en haut mais en bas. D’ici 2017, la ligne, au sommet de l’État, ne bougera guère. Un peu de vert, ici ou là. Un peu de rose si nécessaire pour redistribuer un peu mieux les fruits d’une croissance retrouvée. Pas de quoi, en tous cas, faire sortir l’équipe Valls de son épure initiale. Pour espérer mettre en piste la candidature Hollande, rien, en revanche, ne sera négligé. L’objectif, à l’évidence, est de faire en sorte que ce nouveau combat, dévoilé le plus tardivement possible, soit préparé, au sein des appareils partisans de la gauche, afin qu’il apparaisse, au final, comme le débouché naturel d’un rassemblement trans-partisan capable de justifier à lui seul l’absence de primaires.

Sur le papier, ça se tient et cela d’autant mieux que ce dispositif, tel qu’il a été imaginé, peut être utile même si la présidentielle se devait mal se finir. En pratique, c’est une toute autre affaire. C’est un schéma stratégique qui montre surtout combien François Hollande compte s’inspirer, lors de sa prochaine campagne, de celui qui avait conduit en 1988, à la réélection de François Mitterrand. Il repose sur l’idée qu’avant l’étape finale de «la France unie», il y en a une autre, éminemment politique, tout aussi décisive et qu’il faut lancer de très loin si l’on veut qu’elle produise les effets attendus, dans la constitution d’un socle de soutiens assez cohérent pour rester solide dans l’épreuve. Que tout cela se mette en place, à toutes petites touches, alors qu’il n’y a plus que deux ans avant le rendez-vous de 2017, montre que François Hollande se tient prêt, et que, dans cette partie au moins, il n’avance pas au radar, même si sa main, comme on dit au poker, reste particulièrement faible. Quand on connaît l’animal, on peut être certain que ça laisse à son bonheur intact.