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Comment Hollande peut-il sortir de la ratière ?

Comment Hollande peut-il sortir de la ratière ?

François Hollande est dans la nasse. Fait comme un rat ? On ne va pas tarder à le savoir. Le Président de la République est à la veille de subir le plus rude revers de son quinquennat. Celui qui, à ce titre, risque de peser lourdement sur la fin de son mandat et les conditions de son éventuelle réélection. Jusqu’à présent, il avait franchi, vaille que vaille, toutes les haies qui se présentaient devant lui à force de ruse, d’habileté ou de persévérance. Depuis qu’il est à l’Élysée, François Hollande a parfois plié mais jamais il n’a encore reculé sur un texte engageant sa responsabilité personnelle. Or, c’est précisément ce qui lui pend désormais au nez avec la réforme constitutionnelle engagée au lendemain des attentats de novembre dernier.

Pour prendre la juste mesure de ce qui est en train de se passer, il suffit de rappeler que, sous la Cinquième République, une seule réforme de ce type a échoué après avoir été élaborée, vantée puis programmée par un Président en fonction. C’était en 1969 et la conséquence de cet échec fut le départ du général de Gaulle. On n’en est pas là. François Hollande, pour l’instant, a choisi la voie parlementaire pour arriver à ses fins. Si la révision doit échouer, ça sera donc le fait des députés et sénateurs et non celui des Français consultés par référendum. Mais, au bout du compte, comment imaginer que le Président puisse ne pas être atteint de plein fouet par un revers qui, s’il devait se confirmer, serait pour lui une forme de déchéance ?

À un an de la présidentielle, François Hollande joue donc très gros. Lors de la réunion du Congrès, à Versailles, le 16 novembre dernier, il avait été applaudi, debout, par le représentation nationale. Son discours s’était conclu sur une Marseillaise chantée à l’unisson. Trois mois plus tard, c’est ce même Congrès dans un cadre identique qu’il n’est même plus certain de pouvoir réunir. François Hollande était Jupiter. Le voilà, sinon impuissant, du moins entravé. Ses projets sur l’état d’urgence et surtout la déchéance de nationalité sont en loques. L’opinion qui le soutenait dans ses initiatives observe désormais, sur le mode ricanant ou méprisant, un débat dont elle ne comprend goutte, le tout dans dans un contexte économique et social qui souligne, une fois encore, l’inefficacité d’un pouvoir élyséen pris en tenaille entre une gauche folle et une droite revancharde.

Comment en est-on arrivé là ? Péché d’orgueil, sans doute. Prise de risque excessive, à l’évidence. François Hollande a estimé, à chaud, que la seule réponse possible face au terrorisme, était la guerre et donc l’union nationale. Il a cru que pour manifester ce rassemblement, il devait frapper vite et fort. Il a jugé enfin que la manifestation la plus pure de cet appel à l’unité devait être une révision symbolique de la Constitution. Mais pour en arriver là, il s’est engagé sur le seul terrain où son autorité était susceptible d’être bafouée.

Cette révision répond en effet à des règles particulières dès lors qu’on écarte la voie du référendum. Vote du même texte sous une forme identique par l’Assemblée nationale et le Sénat puis vote du Congrès à une majorité des 3/5ème. Ce qui, en pratique, vu le rapport de force actuel au sein de la représentation parlementaire, suppose la mobilisation conjointe de la gauche et d’une large fraction de la droite donc, sous une forme ou une autre, une négociation capable d’entraîner l’adhésion de tous.

Or peut-on être à la fois Jupiter et négociateur ? Peut-on, en même temps, jeter la foudre et rechercher ensuite des équilibres et des dosages ? Conscient sans doute de cette contradiction, François Hollande est resté l’arme au pied durant les jours qui ont suivi son discours du 16 novembre. Il a attendu que le Conseil d’État lui donne le feu vert. Il a laissé ses adversaires de tous bords reprendre leurs esprits. Son projet initial, notamment sur la déchéance, bousculait la gauche et prenait la droite à revers. Plus le temps a passé, plus ce projet a été bousculé par la gauche et plus il a été pris à revers par la droite. Il devait unir autour d’un symbole. Il est devenu le symbole de la désunion. Quand avant Noël, le Président, encouragé par son Premier ministre, a décidé de ne rien céder en avançant coûte que coûte, il avait déjà perdu l’essentiel de la partie.

«Vous voulez gouverner un parlement ? Ne mentez sur rien, ne trompez personne, cela est grossier; embrouillez tout». Victor Hugo en faisait déjà le constat sous la monarchie de Juillet. François Hollande en fait l’expérience à son tour et à son dépend. En matière d’embrouilles, les parlementaires de tous bord s’en donnent désormais à cœur joie. C’est ainsi qu’on découvre, avec eux, que l’apatridie est, paraît-il, un mal absolu mais que la convention internationale qui l’interdit n’a jamais été ratifiée par la France depuis qu’elle l’a signée… en 1961. C’est ainsi qu’on réalise, avec les mêmes, que les Français ne sauraient être inégaux devant la loi mais que la déchéance de nationalité est déjà prévue – et appliquée – pour les seuls binationaux nés à l’étranger. Comprenne qui pourra !

Dans cette affaire, on voit bien comment les adversaires de François Hollande ont su briser l’élan du 16 novembre. Tout s’est joué sur le terrain où s’est aventuré le Président sans avoir les moyens d’imposer sa loi autrement que par la pression de l’opinion. Or quand la règle est celle des 3/5ème, les minorités sont en position de force. Toute concession faites aux uns entraîne des demandes inverses chez les autres. Ce qui est gagné à gauche est immédiatement perdu à droite. Ce qui est topé avec une fraction de la droite est illico contesté par une faction rivale de celle-ci avant qu’une partie de la gauche s’indigne de pareils arrangements.

À ce jeu, chacun argumente au nom des grands principes mais négocie au nom des petits avantages. On fait traîner le débat tout en expliquant qu’il a déjà trop duré. On complique à loisir en expliquant que plus personne n’y comprend rien. Bref, on fait sauter Jupiter à la corde. Mais quand Jupiter saute à la corde, c’est qu’il n’est déjà plus celui qu’il prétend être.

Quoi qu’il arrive à présent, pour François Hollande, le mal est donc fait. Il a perdu la bataille de l’union et avec elle, celle de l’autorité. Chef de guerre dégradé, peut-il encore faire en sorte que sa retraite ne soit pas une déroute ? Au point où il en est, alors que le texte de la réforme constitutionnelle doit passer, cette semaine, d’une l’Assemblée rétive à un Sénat hostile, le Président n’a le choix qu’entre de mauvaises solutions. Soit il persévère mais sans avoir la certitude d’arriver à bon port. Soit il s’incline mais sans être certain de pouvoir faire payer à d’autres la facture de l’échec. Soit, enfin, il accélère en changeant de registre mais sans pouvoir contrôler les risques supplémentaires ainsi encourus.

Reprenons dans l’ordre. La persévérance tout d’abord. Cette solution n’a de sens que si le Président estime pouvoir trouver à l’arraché, dans les semaines à venir, un point d’équilibre susceptible de rassembler un congrès non pas séduit mais résigné. Tout indique aujourd’hui que ce chemin-là est bouché. Ceux qui veulent faire chuter François Hollande ont reniflé l’odeur du sang. La primaire de la droite nourrit les surenchères. Une partie de la gauche devine qu’elle tient l’occasion de lancer à son tour une procédure d’empêchement du président sortant. Dans ce contexte, négocier encore serait s’enferrer davantage avec l’espoir improbable d’un accord sur un texte à ce point affadi ou dénaturé qu’il n’aurait plus aucun sens. Or, en politique aussi, il arrive que le ridicule tue.

Seconde solution : le renoncement. Soit par le retrait de l’ensemble de la réforme, soit par celui des seules dispositions portant sur la déchéance pour ne conserver que la constitutionnalisation de l’état d’urgence. Mais pour que cette retraite soit à peu près en bon ordre, encore faudrait-il que le Président sache pointer du doigt les responsables de cet échec – fut-il partiel – et convaincre l’opinion qu’ils méritent d’être sanctionnés davantage que lui. Depuis que François Fillon est sorti du bois en s’affichant comme le leader de la résistance sénatoriale, peut-être François Hollande a-t-il désormais en poche les arguments qui lui manquaient jusque là pour faire cette démonstration. Mais là encore, la politique a ses lois. L’échec d’une réforme voulue par le Président est d’abord l’échec du Président lui même. Espérer que les Français fassent le tri est une douce illusion surtout quand l’enjeu leur paraît illisible. Pour le dire en un mot, renoncer, pour François Hollande, ne serait pas faire un pas de côté mais sortir du jeu.

Reste donc une dernière option : renverser la table. C’est, par nature, la plus risquée mais François Hollande, étant donné sa situation, peut-il encore l’écarter d’un revers de la main ? S’il ne veut pas être ridiculisé ou égorgé en douce, au coin du bois, le Président est obligé de faire, au plus vite, «quelque chose» qui ait du sens et du poids, comme le lui expliquent depuis quelques jours ses derniers soutiens affolés. Ceux-là sont les premiers à lui dire les dégâts que l’affaire de la déchéance a provoqué dans l’opinion. Ils lui expliquent ce qu’il sait d’ailleurs pertinemment. Un pouvoir empêché est un pouvoir impuissant. Un pouvoir impuissant est un pouvoir finissant soumis à tous les vents de la contestation alors même que le contexte guerrier réclame une main ferme et un chef digne de ce nom à la tête de l’État.

S’il veut avoir la moindre chance de finir son mandat dignement, s’il compte encore pouvoir encore se représenter en 2017, François Hollande n’a plus le choix. Le temps lui est compté. La rupture est proche. «Chewingommer», selon son expression favorite serait aujourd’hui le plus sûr moyen de s’enfoncer davantage jusqu’au naufrage final. Faire «quelque chose»! Oui, «mais quoi»? À tous ceux qui le pressent de bouger pour sortir de «la ratière» dont parlait François Mitterrand à la fin de son règne, François Hollande a fait, le week-end dernier, cette même réponse un brin désespérée.

Dissoudre en espérant qu’une nouvelle cohabitation lui laisse le temps de refaire ses forces d’ici 2017 ? Encore faudrait-il que la déroute probable de sa majorité ne l’entraîne pas dans sa chute. Et puis, même si tel n’était pas le cas, quel spectacle aux yeux de l’opinion ! Hollande à l’Élysée et Sarkozy à Matignon : difficile de faire moins sérieux alors que le FN est au plus haut et que les Français attendent de la stabilité et de l’efficacité. Et puis, enfin, comment expliquer que la sanction d’une réforme constitutionnelle ratée soit le renvoi devant les électeurs de la seule chambre qui ait à peu près suivi le Président ?

Changer le gouvernement et avec lui le Premier ministre ? C’est ce que plaident certains proches de François Hollande, à commencer par Julien Dray qui après avoir suggéré le nom de Bertrand Delanoë avancent à présent – et sans rire ! – celui d’Emmanuel Macron. L’idée sous-jacente est qu’avec un remaniement de grande ampleur, François Hollande pourrait ainsi retrouver l’esprit du 16 novembre et son essence d’union nationale. Ce qui – au passage – passerait par l’élimination de Manuel Valls qui est pourtant un des plus chauds partisans de cette formule politique… Mais pour réussir cette opération à très haut risque, encore faudrait-il trouver les partenaires qui, à droite, soient prêts à s’y risquer. Ils n’étaient pas disponibles au lendemain des derniers attentats alors que la situation pouvait l’exiger. On voit mal pourquoi ils le seraient davantage aujourd’hui alors que rien d’autre n’y conduit que la panique d’un pouvoir aux abois.

Dans la panoplie des armes dont dispose le Président quand toutes les issues sont fermées, il ne reste donc plus que le référendum. François Hollande s’est juré depuis l’expérience douloureuse du traité européen de 2005 de ne jamais remettre le doigt dans cette procédure. Combien de fois n’a-t-il pas expliqué que les Français, quand on les convoque ainsi, ne répondent jamais à la question qui leur est posée et qu’ils en profitent toujours pour régler leurs comptes avec ceux qui les gouvernent. Mais en même temps n’est-il pas logique, quand on veut réviser la constitution et que le Parlement rechigne ou s’y oppose, de demander au peuple souverain de trancher ?

S’agissant de l’état d’urgence et surtout de la déchéance, les Français sont devenus plus indifférents ou sceptiques que vraiment hostiles à la réforme. Il serait difficile, en tous cas, pour les dirigeants de la droite – et même de l’extrême-droite – d’appeler à voter non à un référendum qui en ferait la proposition. Quant à ceux qui, dans les rangs socialistes, aujourd’hui la combattent au Parlement, comment pourraient-il persévérer sans provoquer, au sein du PS, la scission qu’ils avouent redouter ? Le principal risque encouru, a priori, par François Hollande, s’il devait se lancer dans une opération référendaire, serait donc de gagner chichement dans un contexte de faible participation.

Dans le contexte, ça ne serait déjà pas si mal pour un Président que l’on prétend impuissant ou résigné tout en ouvrant d’ailleurs la voie au large remaniement sur fond d’union nationale évoqué par certains. Rien, bien sûr, ne peut assurer qu’au final, le résultat d’un tel référendum soit celui escompté ici. Le précédant de 1969 ne peut être oublié. Mais, dans la gamme des risques, celui-là n’est pas le pire. Si on admet que François Hollande n’a plus le choix qu’entre une résignation mortifère et un sursaut périlleux, la voie référendaire est la seule, en tous cas, qui soit à peu près jouable et cohérente. Avec elle, c’est soit la sortie de route définitive, soit le sursit dans une recomposition sans précédent. Stop ou encore. François Hollande est-il un grand joueur ?