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Cette primaire UMP que Bayrou savoure d’avance

Cette primaire UMP que Bayrou savoure d’avance

Il y a quelque chose qui cloche dans la primaire telle qu’est en train de la concevoir l’UMP et qui tient moins aux règles qu’elle instaure qu’au comportement réel ou supposé des principaux acteurs de la prochaine présidentielle, à droite et au centre. Dans ses grandes lignes, la procédure retenue est très comparable à celle qu’avait élaborée le PS en son temps. Et pour cause !

La primaire dite «citoyenne» de 2011 a été une franche réussite. Elle a mobilisé plus de 2,5 millions de sympathisants de gauche à chaque tour de scrutin. Elle a permis de sélectionner un candidat sans que la fragile unité du PS ait été entamée. Enfin ce candidat – François Hollande, en l’espèce – n’a en rien pâti de ce mode de sélection puisqu’il a été élu président de la République, quelques mois plus tard. Rien ne dit qu’il ne l’aurait pas été s’il avait été désigné autrement. Mais, à tort ou à raison, la primaire de la gauche est désormais réputée avoir contribué à la victoire du 6 mai.

Que la droite s’inspire, au détail près, de cette expérience démocratique qu’elle avait tant critiquée autrefois, n’est donc guère surprenant. La primaire, pour une élection présidentielle, possède sa logique propre qui transcende les clivages partisans. La loi qui la régit est d’abord celle du nombre. Tout ce qui contribue à mobiliser les électeurs potentiels, dans ce scrutin particulier, renforce la légitimité de la procédure.

Cet exercice suppose des règles pour que le combat soit loyal et son verdict accepté par tous, un encadrement minimum pour que la compétition soit aisément compréhensible par l’opinion et, enfin, une organisation suffisamment précise pour inciter cette dernière à se déplacer en masse. Pour le dire autrement, tout ce qui, dans la loi et l’esprit, rapproche ce mode de sélection interne d’une présidentielle ordinaire, telle que les électeurs l’ont désormais assimilée sous la Cinquième République, est un facteur de réussite tant pour le parti organisateur que pour les différents compétiteurs.

La mécanique de la primaire présidentielle a ceci de très particulier qu’elle ne permet à personne de doser la mobilisation ou d’en mégoter l’ampleur. Plus ça vote, mieux c’est ! On prête parfois à Nicolas Sarkozy le souhait de restreindre, autant que faire se peut, le corps électoral aux militants encartés de son parti en faisant le calcul que, dans le noyau dur de la droite, sa domination reste entière. Si telle est vraiment son intention, le président de l’UMP commet moins une faute morale qu’une grossière erreur d’analyse. La primaire, dès lors qu’on en accepte le principe, est un bloc. Celui-ci ne se divise pas.

Soit on rejette la procédure, soit on l’accepte toute entière. Seul l’entre-deux est mortifère. Tout ce qui peut donner le sentiment qu’on s’en méfie ou qu’on ne l’accepte qu’à regret est contre-productif. A-t-on d’ailleurs jamais vu un compétiteur entrer dans une compétition dont les spectateurs sont les juges tout en incitant une majorité d’entre eux à s’en désintéresser ? Quand on donne la parole au peuple, fut-ce celui des sympathisants, la seule manière de convaincre est de mobiliser en masse. De ce point de vue, Alain Juppé est un candidat a priori plus cohérent que Nicolas Sarkozy. Cela ne préjuge en rien du résultat final de leur affrontement prévisible mais, sur la ligne de départ, le maire de Bordeaux a au moins l’avantage d’avoir calé sa stratégie sur la logique du scrutin.

On peut parier qu’une fois encore, avec cet opportunisme foncier qui le caractérise, Nicolas Sarkozy reprendra à son compte, bon gré, mal gré, la ligne et les pratiques de son principal compétiteur. Avec quand même, une difficulté majeure qui découle, cette fois-ci, de l’offre prévisible, à l’automne 2016. La procédure de la primaire n’a de sens, pour un parti qui prétend sélectionner un futur président, que si l’arbitrage est suffisamment large et s’il ne souffre d’aucune contestation possible. Là encore, l’ampleur de la mobilisation électorale est une garantie de la sincérité du scrutin. Lequel n’est alors véritablement légitime que s’il permet un véritable choix entre les différentes nuances de la droite et du centre. C’est toute la question de la participation de l’UDI à la compétition.

On devine qu’elle sera réglée comme le fut celle des radicaux de gauche en 2011. A cette époque, le PRG avait été invité, en tant que tel, à proposer le candidat de son choix, sans véritables parrainages, avec pour seul objectif l’échange d’une tribune – celle de la primaire – contre la renonciation à une campagne – celle de la présidentielle proprement dite. Il n’y a aucune raison pour qu’avec des acteurs différents mais mûs par les mêmes intérêts, ce tour de passe-passe ne serve pas une nouvelle fois, dans deux ans. A ce détail près que, dans le jeu de la droite, l’UDI n’est qu’une partie du centre et qu’il ne servirait à rien de l’entraîner dans cette opération si, au lendemain de celle-ci, François Bayrou devait retrouver le monopole de la représentation centriste dans la compétition présidentielle.

À y regarder de près, le président de Modem est bien plus qu’un empêcheur de tourner en rond. En refusant, par principe, la compétition interne voulue par l’UMP, il en réduit bien sûr l’efficacité attendue. La primaire est un arbitrage en famille. Or François Bayrou, en politique, n’a pas le sens de la famille. Ce quant-à soi est la marque de fabrique d’un homme qui a déjà, au compteur, trois participations au scrutin-roi de la Cinquième République (2002, 2007, 2012), avec le bonheur inégal que l’on sait. Rien de nouveau sous le soleil, donc. Sauf qu’en restant lui même, il ne se contente pas de contester la primaire. Il en détourne le sens et en dynamite, du même coup, la logique…

François Bayrou joue aujourd’hui sur deux tableaux à la fois. Il soutient Alain Juppé et explique que si celui-ci est désigné par l’UMP, il se ralliera à son panache pour prétendre ensuite au titre d’allié de référence. Même s’il ne le dit pas ouvertement, le maire de Pau confie volontiers qu’il apportera, demain, toute l’aide nécessaire à son collègue bordelais. D’ailleurs, même s’il ne le faisait pas, il est évident qu’Alain Juppé, vu son positionnement, a désormais toutes les qualités requises pour attirer sur son nom un électorat centriste soucieux de voter utile.

Mais le jeu de Bayrou n’est pas que d’influence et c’est là l’essentiel. La président du Modem est également un candidat de substitution. Au fond, il s’est mis en situation d’être le spectateur intéressé d’une primaire qu’il récuse mais dont il entend recueillir une partie de l’élan si le verdict des urnes devait ne pas être celui qu’il dit souhaiter. Si ça n’est pas Juppé, alors, à l’évidence, ça sera lui. Ce faisant, François Bayrou introduit dans le mode de sélection des candidats à la présidentielle une nouveauté qui n’est pas mince et à laquelle contribue involontairement la procédure voulue par l’UMP.

Pour comprendre, il faut reprendre toute l’histoire de la présidentielle depuis plus de trente ans au sein du seul parti – le PS – ayant installé des procédures de sélection démocratique de leurs différents champions. Quand Michel Rocard s’est effacé à deux reprises, en 1981 et 1988, devant François Mitterrand, les électeurs ne se sont vus proposer un candidat capable de défendre, à sa place, l’esprit de la seconde gauche. Quand Lionel Jospin l’a emporté en 1995 face à Henri Emmanuelli, la gauche socialiste traditionnelle n’a pas été représentée dans la campagne. Idem en 2006 après la désignation de Ségolène Royal. L’aubrysme, enfin, qui avait séduit en 2011, 43,5% des électeurs de la primaire, s’est évaporé illico sans que personne ne cherche à l’incarner dans la bataille présidentielle.

Or, c’est précisément à cette transmutation que se prépare, dans l’ombre, François Bayrou. Lors de la primaire, Alain Juppé défendra des couleurs que le président du Modem compte bien relever si le résultat final n’est pas celui escompté. Ce que le maire de Bordeaux aura semé, celui de Pau se tient prêt à le récolter. Une défaite honorable de l’un, c’est la promotion assurée de l’autre, dans un mouvement fondé sur la déception d’avoir perdu une bataille et sur l’espoir de gagner la suivante avec un nouveau candidat.

À ce jeu, la primaire, prévue pour arbitrer entre des ambitions rivales, devient ainsi le moment initial d’une mobilisation qui, au lieu de favoriser le rassemblement, installera des offres durablement concurrentes. Si un tel scénario devait se mettre en place, il est clair que c’est Nicolas Sarkozy – au moins dans un premier temps – qui aura le plus à y perdre. Faute d’avoir pu imposer l’évidence de sa candidature en 2017, il vient de concéder à ses concurrents de l’UMP l’organisation d’une primaire qu’il juge pourtant contraire à la tradition constante de son camp. Or, demain, même si elle tourne à son avantage, cette même primaire peut nourrir sur son flan une proposition modérée, incarnée par un dirigeant centriste par nature incontrôlable et animée par une détestation constante de l’ancien président de la République. Le tout avec l’effet que l’on imagine aisément sur le 1er tour incertain d’un match au sommet animé par François Hollande et Marine Le Pen.

Là est la nouveauté et le mystère. Nicolas Sarkozy, on le vérifie chaque jour, continue à penser qu’une présidentielle, pour ce qui le concerne, se gagne d’abord à droite. La primaire rebat les cartes au lieu de les classer. Balle au centre !