Blog

Ce sondage Ifop que Marianne n’a pas su lire

Ce sondage Ifop que Marianne n’a pas su lire

Marianne publie, cette semaine, un sondage Ifop qui a déjà fait couler beaucoup d’encre en raison du score de premier tour – entre 29 et 31% – qu’il accorde à Marine Le Pen, en cas d’élection présidentielle. Que la présidente du FN soit aujourd’hui bien placée pour se qualifier au tour décisif d’une telle compétition n’a pourtant rien d’un scoop. Le «choc» annoncé par Marianne est une confirmation. Ceux qui en doutent n’ont qu’à se reporter aux précédentes enquêtes de l’Ifop ou d’autres instituts. Comme souvent, ces sondages hautement spéculatifs ont moins d’intérêt en raison du niveau des différents candidats testés que pour les mouvements d’opinion qu’ils révèlent. Pour cela, il faut se reporter aux ventilations. On les retrouve aisément sur les sites des instituts concernés. Voici, en vrac et en détail, celles qui méritent d’être soulignées.

1 – Marine Le Pen, vrai visage de la droite populaire

En cas de duel de second tour entre François Hollande et Marine Le Pen, l’actuel président l’emporterait mais sans gloire : 55/45. D’un tour à l’autre, la patronne du FN progresse de plus de quinze points. A la différence de la présidentielle de 2002, les lignes désormais bougent. La clé, c’est le comportement des électeurs de droite. Là où leurs homologues de gauche seraient 67% à se reporter sur Nicolas Sarkozy, ils sont 62% à choisir sans coup férir la candidate du FN. Cette nouvelle porosité entre la droite et l’extrême droite donnera, quoi qu’il arrive, un tour inusité à la prochaine présidentielle. Les capacités de rassemblement de Marine Le Pen ne font que progresser. Face au président sortant, celle-ci franchit d’ailleurs la barre de la majorité absolue chez les électeurs de moins de 24 ans (53%) et surtout chez les ouvriers et les employés (57 et 58%). Le bloc lepéniste est de nature autant politique que sociologique. Marine Le Pen, c’est le vrai visage de la droite populaire.

2 – Hollande et Valls, frères jumeaux

Au premier tour, les deux candidats potentiels du PS réalisent des performances à peu prés identiques, quelque soit leur adversaire à droite. 21% pour François Hollande et 23% pour Manuel Valls. Mais le plus intéressant est ailleurs. Cette égalité est en fait la traduction d’une similitude. Quelle que soit la ventilation choisie (sexe, âge, profession, niveau d’étude), le président et son Premier ministre réalisent des performances sensiblement comparables. Ils mobilisent plus d’hommes que de femmes, plus d’actifs que d’inactifs, plus de cadres et professions intermédiaires que d’ouvriers et d’employés. La seule différence entre eux s’exprime au second tour. Là, Valls conserve une capacité de rassemblement qui fait encore défaut à Hollande. On le voit, l’exercice conjoint du pouvoir confère aux candidats potentiels du PS une forme de gémellité. L’opinion, à gauche, place les deux hommes sur un pied d’égalité. Elle les confond. On se souvient de la photo prise, en août dernier, à Brégançon, les montrant, assis face à face, étrangement semblables, autour d’une même table. On se souvient aussi d’une autre mise en scène, organisée elle aussi, par l’Élysée, en octobre, lorsque le président avait saisi l’occasion d’une remise de décoration pour faire à son Premier ministre une petite leçon de maintien politique. Le sondage publié aujourd’hui par l’Ifop montre que les Français ont mieux retenus la photo estivale que le propos automnal. Dans l’exercice du pouvoir, les différences s’estompent. On fera ici l’hypothèse que cette perte d’originalité de Valls répond davantage aux attentes de l’Élysée qu’à celle de Matignon, tant elle règle la question de leur éventuelle concurrence.

A droite, en revanche, cette homogénéisation n’est pas encore d’actualité. Entre Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, les différences restent sensibles, même si leurs performances de 1er tour sont à peu prés identiques. Le maire de Bordeaux domine l’ancien président, notamment chez les CSP + et les personnes âgées. Ceux qui, soit dit en passant, sont les plus susceptibles d’aller voter lors de la primaire prévue, à droite, dans le courant de l’année 2016. A deux ans de la présidentielle, trois gros blocs se partagent les faveurs de l’opinion. Le premier, celui du FN, a l’homogénéité de l’évidence. Le second, celui de la gauche, a la cohérence du pouvoir en place. Le dernier, celui de la droite, est encore en gestation et ce qui justifie, d’ailleurs, que la compétition entre ses différents champions soit réglée, demain, dans un scrutin interne.

3 – Le cas Bayrou

Quand Nicolas Sarkozy ou Alain Juppé reculent, c’est que Marine Le Pen progresse. Quand François Hollande ou Manuel Valls se redressent, c’est que François Bayrou régresse. Dans une compétition présidentielle qui se jouera, pour l’essentiel, au 1er tour de scrutin, ces variations marginales sont d’une importance capitale. Qui, à gauche et à droite, est le mieux placé pour opérer, d’emblée, le rassemblement qui le qualifiera? Le sondage de l’Ifop montre que sur ce terrain-là, la gauche de Hollande et de Valls reste aujourd’hui moins bien placés que la droite de Sarkozy et de Juppé. Mais, si on y regarde de près, c’est pourtant la première qui dispose le plus de réserves. Pour se qualifier, le champion de la droite devra mordre, au premier tour, sur l’électorat lepéniste alors même que celui-ci est le plus cohérent. Le champion de la gauche dispose, en revanche, d’une capacité d’attraction potentielle sur l’électorat résiduel des écolos, sur une frange de l’électorat mélanchoniste et surtout sur cet électorat centriste dont François Bayrou incarne les espoirs sans être pour autant assuré de le conserver jusqu’au bout.

Le maire de Pau a, entre ses mains, le destin du scrutin. En 2017, une fois encore, il sera à la fois chasseur et gibier. Face à une gauche usée et une droite radicalisée, il dispose, sur le papier, des ressources nécessaires pour s’imposer comme un candidat de compromis, apte à organiser, autour de sa personne, le seul rassemblement crédible pour affronter Marine Le Pen lors du tour décisif. A lire le sondage de l’Ifop, on voit bien cependant combien son destin peut basculer dès que la gauche, autour de Hollande ou Valls, réussit à proposer une offre suffisamment forte. Dans cette hypothèse qui est celle du contexte particulier de janvier 2015, le centrisme devient l’auxiliaire du pouvoir en place. L’anti-sarkozysme et l’anti-lepénisme sont les ressorts de l’union, à gauche, autour du candidat socialiste, quel qu’il soit. C’est également là où se trouve le gisement de voix centristes qui peut permettre, demain, le miracle dont rêve l’Élysée. Hollande réélu, contre toutes attentes, grâce aux électeurs de Bayrou et malgré l’attirance des électeurs de l’UMP pour Marine Le Pen ! Et si c’était ce scénario baroque qu’avait éclairé l’Ifop sans que Marianne réalise que «le choc» annoncé n’était sans doute pas celui qu’elle croyait?